mardi 19 février 2008

MUTT

C'était son sobriquet. J'ignore pourquoi ses frères et soeurs l'avaient ainsi surnommé. On a déjà fait allusion au fait que son "caractère" -entendre son humeur du moment- n'était pas toujours au beau fixe. Lui-même ne m'en a jamais parlé.

Parmi mes premiers souvenirs de Mutt, il y a celui-ci, qui remonte à l'été 1953. Il m'avait emmené pêcher sur les bords de la rivière Malbaie. Je n'avais pas dix ans. Je l'avais tant "tourmenté" pour qu'il m'emmène avec lui. Je le suivais religieusement, presque intimidé. J'avais ma besace, toute petite, ainsi que ma propre canne à pêche. Il s'était occupé de tout. Nous garâmes l'auto près du "Deuxième Pont". Un CocaCola pour lui et un pour moi. Les sandwiches aux cretons avec moutarde préparés par sa femme. Nous voilà partis en direction du "Troisième Pont", sur la rive gauche de la rivière. Au bas d'une côte que j'avais trouvée énormément énorme, il me montra ce ruisseau, du Cran Rouge, que je n'ai jamais oublié, et que je n'oublierais jamais. Nous le traversâmes sur un petit pont fabriqué de billes d'épinettes. Ce fut ensuite ce sentier dans le flanc de la montagne, au beau soleil, à travers les framboisiers sauvages et les coudriers. Je pensais simplement qu'il fallait marcher très longtemps pour enfin pêcher...

Le "Troisième Pont" aurait pu tout aussi bien s'appeler "d'Avignon", car il n'en restait qu'un squelette.
-Pourquoi ne le réparent-ils pas? me demandai-je?

-Jette ta ligne ici! me cria Mutt, qui était déjà en train de taquiner l'onde un peu plus loin. Car Mutt était toujours le premier à jeter sa ligne: ça, je l'apprendrais au cours des étés suivants.
Tout à coup, ma ligne se tendit et ça se mit à frétiller là-bas, dans le fond de l'eau.
-Ca mord! me dit Mutt, me sortant de ma torpeur,
-Donne un coup sec pour la ferrer comme il faut, puis lève ta canne doucement!
Ce que fis exactement. J'entendis alors ce rire sonore -de quelqu'un qui ne riait pas souvent.
-C'est un coup de deux!
C'était bien vrai. Ma première truite, c'en fut deux, petites et bien en vie, prises dans la rivière Malbaie, sous l'oeil bienveillant de celui que j'admirais le plus au monde: Mutt.

La journée se poursuivit tout ainsi, un peu de marche, essai d'un"remous", nouvelle marche. Mutt parlait peu. Quelques années plus tard, j'apprendrais le mot "laconique", "qui économise les mots". Ainsi était Mutt. Nous revînmes au Deuxième Pont sous le soleil de fin d'après-midi -j'aurais préféré écrire "sous le soleil de la tarde", mais, bon! J'ai conservé dans ma tête ces images de mon retour sur les bords de la rivière Malbaie en compagnie de Mutt, qui marchait le premier, sans dire un mot; j'étais fatigué, mais je ne me serais plaint pour tout l'or du monde. Nous arrivâmes finalement à l'auto. Je fis remarquer à Mutt que nous n'avions pas lunché. Nous nous assîmes donc sur le rebord du coffre arrière. Nous enfilâmes prestement sandwiches, CocaCola et millefeuilles: ce devait être le lunch classique de nos excursions de pêche, mais ça, je l'ignorais encore. Puis, nous nous mîmes en frais de "dégréyer". Dieu du Ciel! Il me manquait le petit bout de la canne à pêche! Je l'avais perdu au retour, dans le sentier touffu à flanc de montagne. Insouciance de l'enfance... C'était une belle perche en bambou laqué, la première que Mutt s'était acheté avec son propre argent. Quel imbécile j'avais été! Je m'attendais à une remontrance de fort calibre. C'est tout le contraire qui se produisit. Mutt simplement commenta:
-C'est pas grave. Viens, allons-nous-en!

J'ai complètement oublié le chemin du retour, celui qui serpente entre les deux lacs Ha!Ha! et le long de la rivière du même nom. Car je m'étais endormi à côté de Mutt.

Mutt, c'était Roland, mon père, ma première idole. Il ne parla jamais beaucoup. A peine riait-il quelques fois par an. Mais un jour, il me parlerait au moment opportun, un instant qui changerait ma vie. Mais ceci est une autre histoire.

Delhorno

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