lundi 29 septembre 2008

REPARTIR SOUS D'AUTRES CIEUX

Gibus, McPherson, il me faut cesser d'en découdre avec vous. Ne point vous offusquer. J'ai dû changer de fournisseur internet. Par crainte de tout perdre ce que je vous ai écrit depuis septembre 2007, je mets fin à ce blogue -j'ai pris soin de tout imprimer- et je sévirai ailleurs.
Rejoignez-moi à claudedufour.blogspot.com. Mon nouveau blogue s'intitule:
ON NE PEUT PAS ETRE HEUREUX TOUT LE TEMPS.

VIVEVALEQUE
Delhorno

dimanche 14 septembre 2008

LA DROITE ET LA GAUCHE

Il est de bon ton dans les médias de fustiger ceux qui sont réputés "de droite". Duceppe, Landry, Léonard n'ont pas manqué d'estamper Jacques Brassard. "Il était de droite quand il était au gouvernement, il l'est plus encore." Pourtant, Brassard n'a pas dit grand'chose... Il s'est opposé aux tactiques du Bloc. Etre de droite, selon plusieurs, c'est être proche parent de Pinochet, de Bush et des dictateurs ibériques. Etre à droite, c'est être méprisé par ceux qui sont à gauche... c'est... avoir tort, c'est raisonner tout croche.
Mais qu'est-ce qu'être à gauche? C'est probablement s'identifier plus ou moins à Lénine, Trotsky et Josef Stalin, qui eux aussi ont les mains pleines de sang... La gauche à la soviétique -enlevons les purges et les meurtres- nous le savons, ça ne fonctionne pas. Pas plus que la droite à la Pinochet! Une certaine gauche est certainement tout aussi méprisable qu'une certaine droite.
Quelques adages...
1. Quiconque n'est pas socialiste à 20 ans n'a pas de coeur; s'il l'est encore à trente ans, il est con!
2. Quand les capitalistes sont au pouvoir, le peuple a plus de voitures; quand les socialistes dirigent, le peuple a davantage de stationnements. W. Churchill
3. Christophe Colomb est le premier socialiste: il ignorait où il était, ne savait pas où il s'en allait et faisait tout ça aux frais des contribuables. W. Churchill

Mon point? La vérité, comme la vertu, se situe dans un certain milieu, le centre, d'où l'on peut osciller tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche, selon les enjeux. Si être de gauche, ça veut dire laisser les autres travailler à sa place et jouir des fruits de leur labeur, eh bien! je suis à droite. Si, être à droite, ça veut dire nier l'avortement, extorquer les travailleurs, mépriser les femmes, eh bien! je suis de gauche. Souvent, on peut être de gauche et de droite en même temps et... ce n'est pas du tout méprisable!
Delhorno

vendredi 12 septembre 2008

LA SOEUR DU BON-PASTEUR

L'infirmière-responsable de l'infirmerie des Soeurs du Bon-Pasteur demanda à me parler:
-Nous avons ici une soeur de Chapais qui s'est présentée avec une grosseur au sein. Quand pourriez-vous la voir?
-Qu'elle vienne immédiatement, je suis libre.

Elle avait attendu un peu trop longtemps... Ce cancer avait crû démesurément... Je dus lui proposer l'ablation totale du sein. Soixante-quinze ans. Elle accusa le coup sans défaillir.
-Quand?
-La semaine prochaine?
-OK.
Intervention presque parfaite. Quelques semaines à l'infirmerie des soeurs et elle s'en retourna à Chapais. Je ne pus l'oublier. Elle me parlait avec une douceur qui m'était presque thérapeutique, alors que c'était elle, la malade. Pas de hargne, pas de rancoeur, aucune amertume. Je me dis que j'avais une sainte devant moi.
Quelques années passèrent. Ce printemps-là, la Commission des Lésions Professionnelles me commissionna d'aller à Chibougamau pour régler certain problème. Chapais est un petit village forestier situé pas très loin de Chibougamau et je me pris à penser que j'avais l'embelle de remplir la promesse faite à ma vieille soeur d'aller la visiter un jour. On a peine à croire souvent à ces promesses avancées sur le coup de l'impulsion de l'instant...
Me voilà donc parti en auto vers l'ouest. Pays de l'épinette noire. Il y a encore beaucoup de neige dans les sous-bois. Beau soleil. Les gens de Chapais y sont venus pour travailler aux scieries qui y prospèrent. Voilà le village, tout à fait humble. Je me rends tout de suite à l'église, car je me souviens qu'elle m'avait dit résider dans un locale attenant à l'église. Maison tout aussi humble que le village... Je sonne à la porte... On vient me répondre:
-Puis-je rencontrer soeur UneTelle, que j'ai opérée il y a quelques années et à qui j'avais promis...
-Un instant, docteur!
Elle arrive prestement et, me reconnaissant, perd quasiment connaissance! Elle pense que je suis une apparition!
-Entrez Docteur! Elle me fera visiter son petit univers ultra-propre et tout simple. Elle m'offrira des carrés de sucre à la crème. Je m'informerai de sa santé. Elle me répondra avec douceur, cette même douceur qui m'avait fait sentir tout petit quelques années auparavant. Nous nous quitterons sur quelques sourires. Je me sentis bien sur le chemin du retour.

IL NE FAUT PAS REFUSER L'INSOLITE QUAND IL SE PRESENTE.

Delhorno

N.B. Faits rigoureusement exacts; les noms importants ont été changés.

dimanche 7 septembre 2008

LA FILLE DE LA COTE-NORD

Stage d'obstétrique, quatrième année de médecine. La faculté de médecine de Laval nous donnait cet entraînement à la Miséricorde, un petit hôpital situé sur la rue Saint-Jean, pas très loin de l'Hôpital du Saint-Sacrement. La Miséricorde accueillait exclusivement des filles-mères.

Il me faut, Gibus, McPherson, vous remettre en contexte, car je vous parle d'un temps qui n'existe plus. On se mariait, à cette époque, et on ne faisait des enfants que lorsqu'on était marié. La majorité des filles arrivaient vierges devant l'autel, et ce n'est que plus tard qu'on se marierait au Palais de Justice. Un opprobre planait sur les filles qui se faisaient engrosser sans être mariées: les familles déshonorées expédiaient leurs filles engrossées à Québec ou à Montréal, à la Miséricorde. Ces filles en avaient bien besoin de miséricorde... Elles cachaient dans la grande ville une grossesse honteuse; leurs mères balbutiaient que "Thérèse est allée relever sa grande soeur à Montréal" ou que "Mariange suivait un cours de secrétaire à Québec". Elles se faisaient accoucher par des étudiants de médecine de mon acabit, sans expérience, faut-il le dire. L'anesthésie prodiguée était primitive, selons les standards actuels: un masque par lequel un autre étudiant de quatrième année sans expérience laissait passer au jugé le gaz de l'oubli. La Miséricorde, ça n'existe plus aujourd'hui. On ne se marie guère, et l'état de virginité, ça ne dure pas très longtemps après la puberté, tant chez les filles que chez les garçons. Les parturientes accouchent dans les hôpitaux généraux, et la honte qui affligeait les filles-mères de mil neuf cent soixante-dix a été remplacée par une espèce de fierté que je ne saurais qualifier.

Ce vendredi-là, on m'avait chargé chargé de l'admission des nouvelles parturientes, lesquelles devaient accoucher incessamment. Ex-séminariste, produit des prêtres du Séminaire et des Frères des Ecoles Chrétiennes, je ne me rendais pas compte de mon extrême naïveté pour ce qui touche les grosses affaires de la vie. Je ne pouvais m'imaginer que ces filles de dix-huit ans avaient commis "cette erreur-là". Elles me faisaient pitié. Je ne pouvais comprendre non plus que des gars sains d'esprit leur avaient fait "ça". J'arrivai donc, mon sarrau fraîchement blanchi, un énormissime manuel d'obstétrique importé des Etats-Unis, et... cette candeur, ma candeur, d'ex-séminariste.

La séance allait rondement! Les patientes étaient jeunes, en bonne santé. Je palpais le ventre, écoutais le coeur foetal, posais deux ou trois questions, terminais sur quelques mots que j'estimais encourageants... As-tu déjà imaginé, Gibus, comment on peut encourager une fille de dix-huit ans qui est sur le point d'accoucher sans mari et de donner son enfant à des étrangers?

Jusqu'à cette dernière patiente, qui s'installa en pleurant sur ma table d'examen. Tout ne me sembla que détresse sur ce visage blême où je ne pouvais voir que deux grands yeux éplorés. Elle était un peu plus âgée que les autres. Vingt-trois ans. Elle pleurait tant. J'en fus bouleversé... Venait d'un bled de la Côte-Nord, les Escoumins, Forestville, Tadoussac, je ne me rappelle plus. Elle servait dans les bars. En était à sa deuxième grossesse, sans jamais avoir pu retenir le père de l'un ni celui de l'autre. Dieu qu'elle pleurait. Je conclus mon examen sans savoir que dire. Je retournai au Saguenay cette fin de semaine. Le lundi, on m'apprit qu'elle avait accouché d'un superbe petit garçon et que tout s'était bien passé. Je ne la revis plus jamais et oublai peu à peu cette histoire qui m'avait désemparé.

Mai mil neuf cent quatre-vingt-dix. Devenu chirurgien à Chicoutimi. Département Saint-Gabriel, où sont logés mes opérés. Début de soirée. Un petit local sombre, lumière jaunâtre, où nous menons les anamnèses et examens physiques préopératoires. Une quadragénaire de Forestville. Travaille CLSC. J'entame le questionnaire, machinalement. Problème de grosseur mammaire, pour laquelle une manoeuvre biopsique est péremptoire.
-Avez-vous des enfants?
-Deux grands garçons.
-Combien de grossesses?
-Deux.
-Que font-ils?
-Ils sont aux études, à l'université.
A cet instant précis, je regardai les yeux de ma patiente et une question irrépressible sortit de ma bouche:
-Où avez-vous accouché, Madame?
-A la Miséricorde de Québec, en 1968 et 1970.
-Vous souvenez-vous de l'étudiant en médecine qui fit l'histoire de votre cas le vendredi précédant votre dernier accouchement?
-Non.
-Eh bien! C'était moi, madame.
Je lui dis que j'avais reconnu ses yeux après tant d'années. Je lui rappelai qu'elle avait tant pleuré ce vendredi-là, qu'elle avait bouleversé l'ex-séminariste naïf que j'étais à l'époque, que son histoire m'était revenue à l'exact instant que j'avais reconnu ses yeux.
Elle me dit qu'elle avait gardé les deux petits garçons, au lieu de les donner pour adoption, comme plusieurs faisaient à l'époque. Elle avait repris ses études, terminé le Secondaire et le Cégep. Elle s'était faite infirmière et vivait heureuse avec un mari à Forestville, où elle oeuvrait au CLSC. Elle louangea ses parents, qui n'avaient cessé de l'aider, gardant tant et plus les deux petits garçons.

La pudeur m'interdit de l'interroger davantage... Il y a en effet des pourquoi et des comment qui ne cessent de sourdre de nous-mêmes, mais je ne pus ni ne sus comment leur donner vie. Je terminai l'entretien tout en promettant le meilleur de moi-même.

Je marchai ce soir-là vers mon domicile le coeur léger, me disant que rien n'est jamais tout à fait perdu dans cette vie. Pour certains, certains soirs, "la lune devient bleue". Ces deux petits garçons n'avaient pas grand'chance au départ. Auraient pu commencer leur vie dans des foyers d'accueil, être victimes innocentes de tels ou tels sévices; auraient pu ne jamais compléter leurs études secondaires et devoir de contenter de vivre d'expédients jusqu'à la retraite du fédéral... Au contraire, les voilà universitaires, leur mère fière et heureuse! Quelle belle histoire! Je remerciai finalement mes ancêtres, dépositaires du génome par lequel m'avait été donnée cette merveilleuse mémoire, qui avait ressuscité du fond des temps une histoire que j'aurais crû à jamais oubliée, à la seule vue de deux grands yeux, dont les larmes, vingt ans plus tôt, m'avaient désemparé.

Delhorno












samedi 6 septembre 2008

L'INTERNE CHILIEN

J'ai malheureusement perdu le neurone chargé de retenir son nom... Il nous arriva un matin dans l'antichambre du bloc opératoire de l'Hôtel-Dieu de Montréal. Le teint foncé, les cheveux noir-corbeau, un sourire triste. Je lui enseignai le Ba-Ba de nos techniques. Il me dit qu'il arrivait du Chili. Je n'en sus point davantage ce matin-là. Tous nous notâmes qu'il se comportait en salle d'opération comme quelqu'un qui avait déjà opéré...

Je devins son ami. Il parlait le français avec un bel accent hispanique: je l'enviai de savoir les deux langues. L'histoire qu'il me raconta, c'est un histoire triste; je ne l'ai jamais oubliée, même si nos conversations datent de plus de trente ans.

Il avait été chirurgien thoracique dans un des gros hôpitaux universitaires de Santiago. Sa famille avait pris parti pour Salvator Allende. Les semaines qui suivirent l'assassinat du Président, ce fut la débandade. Beaucoup des opposants à la junte militaire disparurent, d'autres furent emprisonnés, plusieurs ne furent jamais revus. L'interne chilien, quant à lui, ne dut son salut qu'à la fuite. Il emmena sa famille en Argentine, d'où il s'en vint au Québec. Il avait quitté un luxueux logement dans le coeur de Santiago, tableaux de maîtres sur les murs, situation enviée et enviable. Le voilà qui repartait à zéro à Montréal.

Le Collège des Médecins lui prescrit de refaire son internat, puis son entraînement en chirurgie. Six années à refaire ce qu'il avait déjà fait... Pas une mince affaire à quarante-cinq ans! Je le revis quelques années plus tard, fortuitement. Il était devenu chirurgien général comme moi à l'Hôpital de Verdun. Son regard n'avait point changé: toujours aussi triste. Sans doute ses enfants s'en tireraient mieux que lui...

Il mourut subitement, d'un infarctus du myocarde, l'année d'après. N'avait pas cinquante-cinq ans. Voilà pourquoi j'ai toujours détesté Pinochet.

Delhorno

vendredi 5 septembre 2008

L'INTERNE EGYPTIEN

Ne jamais préjuger des gens en fonction de leur apparence physique, de leur habillement, de leur provenance, de leur sexe ou de la couleur de leur peau. Facile à écrire! Politiquement correct! Dommage qu'il faille toute une vie pour se conformer à ce précepte...

1976. Hôtel-Dieu de Montréal. Je suis le chef-résident du Service de Chirurgie Générale, qui compte des médecins résidents et des internes qui nous arrivent de partout dans le monde. Des Libanais et des Syriens, surtout. Mais aussi des Vietnamiens, des Haïtiens, un Chilien, un Egyptien. Tout ce beau monde parle français, ou à peu près... Les Viets ont bien de la misère à se faire comprendre. Diaspora qui partage le même espoir: améliorer son sort. C'est la guerre au Liban, les Haïtiens crèvent de faim sur leur moitié d'île, Allende vient d'être tué, et je n'apprendrai que trente-cinq ans plus tard la motivation des Egyptiens à vouloir quitter les terres pharaoniques...

Jeudi soir, sur l'heure du souper. J'ai deux petites merveilles blondes qui m'attendent à la maison. Le chef du département s'en fout comme de l'an quarante. Il a décidé que les réunions de service auraient lieu de cinq à six le jeudi soir. La salle de réunion est vieillotte: elle doit dater du temps de Jeanne Mance! Lumière blafarde. Surpeuplée. Ce soir, c'est l'interne égyptien qui doit résumer je ne sais plus quel sujet. Il ne paie pas de mine... Grassouillet, bedon de quadragénaire alors qu'il n'a pas vingt-cinq ans. Les lunettes d'un autre âge lui pendent au bout du nez et il semble s'en accommoder sans problème. Je ne le connais point: il n'a pas encore travaillé sous mon égide. J'ai à ce jour oublié son nom. Je l'introduis donc.

L'hurluberlu s'installe debout devant nous tous. Je me dis que les prochaines trente minutes seront longues... C'est à ce moment précis, un jeudi soir d'automne, il pleut dehors et il vente, tout semble triste, c'est à ce moment précis, dis-je, que "la lune devient bleue"! Un miracle se produit devant nos faces incrédules. L'interne égyptien est un surdoué! Il nous aborde avec une douceur de parler qu'aucun d'entre nous n'a jamais connue. Il parle sans texte, d'un français impeccable. Le déroulement du discours est clair, sans répétition, le message en vient à nous intéresser suprêmement. Tout se passe très vite, tellement la prestation frise la perfection. Voilà! Il conclut! J'éclate de rire et le félicite chaleureusement. Un autre cas de "L'habit ne fait pas le moine"!

Je ne le revis que peu. N'eus point la chance de lui parler davantage. On me dit qu'il envisageait devenir psychiâtre. La dernière fois que je le vis? Juin 1976. Chez Jean-Panet Fauteux, party de fin d'année. L'Egyptien s'amène, radieux. Toujours le même bedon. Toujours les mêmes lunettes surannées au bout du nez. Qui l'accompagne? Une blonde époustouflante, plus grande que lui, l'air intelligent, sourire dévastateur. Je me présente. C'est une Italienne du Nord. Comment se sont-ils rencontrés? Elle le regarde avec tendresse, avec bonté: elle l'aime, j'en suis certain. Les gars n'en croient pas leurs yeux... Comment notre Egyptien sans panache a-t-il pu dénicher un tel pétard et s'en faire aimer? Je crois, McPhee, vous avoir déjà raconté cette histoire. Je l'ai répétée tant et tant. Quand je vous dis qu'il faut se méfier des apparences...

Delhorno

jeudi 4 septembre 2008

GROS FILS

C'est le sobriquet qu'en 1960 on lui donnait à Grande-Baie. Sans doute parce qu'il paraissait plutôt dodu... C'est comme joueur de balle qu'il fit son entrée dans le monde des Delhorno: il évoluait pour les Yankees de Grande-Baie, équipe que nous de Port-Alfred haïssions, n'ayant jamais pu les battre. Gros-Fils se présentait au marbre l'air débonnaire, se déhanchait d'une manière dégingandée qui nous faisait sourire et... fendait l'air la plupart du temps. Mais il faisait partie de l'équipe et jouait à chaque match. La rumeur, entre les manches, susurrait qu'il avait l'oeil sur notre soeur, ce que nous ne manquions jamais de rapporter à celle-ci: il n'en fallait pas plus pour faire perdre contenance à la soeur des Delhorno. Ce soir-là, Gros-Fils s'élança et frappa un coup de circuit. C'est la dernière image qui m'est restée de Gros-Fils le joueur de balle.

Plusieurs années plus tard, Gros-Fils réapparut dans nos vies. Il avait acheté une espèce de dépanneur sur la rue Bagot à Bagotville: le restaurant Lucerne. Les voisins y achetaient des cigarettes, des barres de chocolat, des croustilles et du Coca-Cola. Rien qui pût rendre Paul Bocuse jaloux et envieux... Mais, nous connaissions mal Gros-Fils. Au fil des années, il agrandit le restaurant, acheta les maisons de droite et de gauche, fignola un menu à saveur baieriveraine: du steak en tranches, du rosbif, de la tourtière, des patates jaunes avec du porc rôti, de la tarte au sucre, du pouding au riz, et j'en passe. L'homme connaissait les faiblesses viscérales de son entourage. Il se mit aussi à offrir des déjeuners de type camp de bûcherons: oeufs, bacon, jambon, saucisse, patates rôties, pain de ménage, fèves au lard et mélasse. Le restaurant devint un rendez-vous pour les "pure-laine". C'était il y a vingt ans, vingt-cinq ans peut-
être. Le Lucerne, pour moi aussi, devint un incontournable. C'est ainsi que Gros-Fils, doucement, au fil des plats de tourtière et des bols de pouding au riz, rentra dans ma vie et que je pus le compter au nombre de mes amis. Il reste, Gibus, à nous entendre sur le sens du mot AMI... Car comme l'a si bien dit Sénèque: J'EN CONNNAIS PLUSIEURS QUI EURENT BEAUCOUP D'AMIS, MAIS A QUI L'AMITIE A MANQUE.

Suis donc allé luncher au Lucerne ce midi. Une espèce de spleen avait commencé d'envahir mon existence d'éclopé depuis l'aube. Le temps était venu d'un retour aux sources. C'était exactement la thérapeutique qu'il me fallait. Gros-Fils, plus dodu que jamais, -il explique avec force sourires que, restaurateur, il lui faut goûter à tout...- s'avança chaleureusement pour m'accueillir, s'informant de l'état de ma hanche, de mes projets d'avenir. Je n'étais pas seul, comme vous devez bien vous en douter, chers Gibus et McPherson. Elle était là. Nous nous attablons donc, et Gros-Fils s'attable avec nous.
-J'ai une crème de carottes qui n'est pas piquée des vers. Et mon rosbif est excellent.
Disant cela, il ressemblait à un jouisseur qui, n'eût été des conséquences pour sa santé, aurait bien voulu double-dîner. C'est donc ce que je commandai. La crème de carottes aurait rendu fou Bernard Loiseau... Je n'en ai jamais mangé d'aussi bonne. Le rosbif fondait dans la bouche. Les petits légumes étaient croustillants, juste à point, alors que la salade et la purée de patates frisaient le haut-de-gamme. Vint le temps du dessert.
-J'ai pour dessert un pouding au riz avec sucre à la crème et...
La serveuse n'eut point le loisir de terminer son offre! Dieu que ce pouding était délicieux, tant en lui-même que par les souvenirs de jeunesse qu'il réveillait dans nos mémoires.

Tout ce temps, Gros-Fils nous accompagnait, volubile, heureux. Il avait envoyé sa femme et sa fille à Londres et à Paris au début de l'été, ce dont il était très fier; sa fille commençait le CEGEP, brillante et intelligente.
-Un autre beau voyage t'attendra à la fin du CEGEP!
Il lui prêterait son jeep pour monter à Chicoutimi. L'été avait été bon. Il avait obtenu plusieurs beaux contrats qu'il avait rempli avec succès.

Nous nous laissâmes finalement. Au moment de payer à la caisse, Rénald Perron nous arrive! Un gars fin, avec lequel nous mettons le placotage à date. Rénald part pour l'Italie la semaine prochaine. Je lui souhaite le plus beau des voyages.

Je descendis péniblement le petit escalier qui donne sur la rue Bagot et, claudiquant vers la rue des Pins, où était garée mon auto, je ne pus que confesser que la vie, malgré tout, a ses petits bonheurs, tout simples, tout menus, mais dont il ne faut pas manquer de jouir... Un plat de pouding au riz, Gros-Fils dont le parcours, à partir de peu, m'a toujours intéressé et impressonné, Rénald, que je connais depuis presque cinquante ans, des souvenirs de tous acabits, Yvette Gagné, le coup de circuit de Gros-Fils, le pouding au riz de ma mère.

Delhorno

dimanche 31 août 2008

L'ACCIDENT

Allez savoir pourquoi! J'avais presque retrouvé ma forme de l'année d'avant. 2007 avait été un enfer, en raison d'une bursite achiléenne droite qui mit huit mois à guérir et me fit claudiquer tout ce temps.

Dimanche matin, le 27 juillet 2008. Vers les onze heures trente. Parti de Chicoutimi à vélo. Monté à Jonquière par le boulevard St-Paul et, à partir de là, par les pistes cyclables. Je craignais qu'il ne pleuve à nouveau, tellement il avait plu depuis six semaines. Rivière-au-Sable. Vers Kénogami le long de la rivière. J'entame alors le dernier droit: cette longue piste cyclable qui longe le boulevard Saguenay sur plusieurs kilomètres jusqu'à Chicoutimi. Je me sens bien... et j'en suis heureux, car mon père était déjà mort à mon âge, et il n'y a pas tant de sexagénaires coronariens qui peuvent se taper une escapade de quarante kilomètres sans ressentir quoi que ce soit. J'en remercie tous les dieux de l'Olympe.



A partir de l'Eglise de Kénogami, la piste cyclable descend en pente douce et est entrecoupée de rues transversales. Je me dis qu'il faut ralentir, au cas où... Oh! Juste là! Il y a cette petite crevasse qu'il me faut éviter! L'irréparable se produit! Ma roue avant se cabre vers la droite! Je m'envole par-dessus ma bécane et atterris sur l'asphalte de la piste. Ma hanche gauche absorbe le choc. Dieu que ça fait mal. Incapable de me relever, ce qui est une première dans mon existence. On s'attroupe autour de moi.

-Appellez une ambulance!

Les badauds pensent que j'ai été victime de défaillance cardiaque ou cérébrale.

-Non, leur dis-je, c'est un vulgaire accident de vélo!

J'appelle ma femme:

-Viens me rejoindre à l'Urgence de Jonquière: je crois que j'ai une fracture de la hanche.

-OK, j'arrive!



A ma demande, on m'emmène aux Urgences de Chicoutimi, car j'aurai besoin des soins d'un orthopédiste, et Jonquière n'en a pas. L'orthopédiste chicoutimien sous-estimera mon état:

-Ce n'est qu'une petite fracture du grand trochanter: pas besoin d'hospitaliser, tu pourras marcher dans quelques jours.

Par contre, l'urgentologue diagnostique l'ébauche d'un pneumothorax gauche... On me garde donc à l'hôpital pour m'observer. Trois jours d'enfer. Ma hanche fait mal, horriblement. Ma femme décide de me sortir de l'hôpital!

-Tu seras guéri dans quelques jours! Nous perdons notre temps dans cet hôpital!

Le lendemain, je devrai retourner à l'hôpital. Un autre orthopédiste a revu mes radiographies du dimanche en compagnie de ma soeur. Il suspecte une fracture plus grave...



Fracture intertrochantérienne de la hanche. Je serai opéré le dimanche trois août: enclouage du fémur. Voilà où j'en suis. Incapable de marcher sans marchette ou sans béquilles. Incapable de marcher avec une canne. Perte quasi totale d'autonomie. J'occupe mes journées à boiter d'un fauteuil à l'autre. N'ai rien raté des jeux de Pékin. Depuis quelques jours, il y a le US Open de tennis: ai vu tous les matches! Encore chanceux! Chanceux aussi qu'Elle s'occupe de moi...



On me dit que ces fractures guérissent très bien. Que je ne devrais pas souffrir de séquelles. Que je pourrai refaire du vélo.

Ce que je pense de tout cela? La vie d'infirme est fort monotone... Il faut être très fort mentalement pour réussir à faire quelque chose en dépit d'un handicap. Je pense aux athlètes des jeux paraolympiens... N'ai pu ni lire ni écrire ni jouer du saxophone à ce jour. Dommage par ailleurs que je sois en fin de carrière, car je serai, il me semble, un meilleur docteur dorénavant.



Pour la quatrième ou cinquième fois en dix ans, il y aura eu erreur médicale me concernant. De cela, je vous parlerai en tête à tête, chers Gibus et McPhee.

Delhorno



lundi 18 août 2008

LA PHARMACOPEE MATERNELLE

Elle aurait pu m'empoisonner que je n'y aurais vu que du feu... Le lien de confiance était tellement fort. La thérapeutique commença, nous sortions à peine du berceau, par le WAMPOLE. De l'huile de foie de morue. Panacée des enfants canadiens. Bourrée de vitamines et de bonnes affaires. Ce n'était pas buvable! Et Lulu ne manquait pas un tour: elle n'oubliait jamais. Elle perdit le contrôle quand nous débutâmes le Secondaire. Ce qui m'offensa le plus, c'est que les plus jeunes de la famille ne furent jamais soumis à ce régime satanique...
Quand l'année scolaire prenait fin, Lulu se lançait dans la thérapie PURGATIVE. Celle-ci débutait le soir-même de la fin de l'école. Il fallait vider le corps de toutes les cochonneries qu'y avait accumulé le collège St-Edouard. Nous nous couchions donc investis d'une concoction dont nous ne saurions jamais la composition. Le Purgatoire commençait le lendemain matin. Le Sénateur et le Scribe passaient l'avant-midi à courir vers les toilettes à la grande satisfaction de notre mère alchimiste, qui avait ainsi purifié ses fils de tant d'inepties et de platitudes. Encore une fois les plus jeunes ne furent jamais soumis à ces grands ménages annuels.

Le début des années soixante vit surgir l'EQUANIL, précurseur du Valium et de Dame Imovane. L'Equanil fit tout de suite partie de l'armentarium maternel. La fin de l'année scolaire était encore une fois le moment idéal d'attaquer le problème... Nous manquions de sommeil, les examens avaient été difficiles, une cure à l'Equanil s'avérait incontournable. Cette nuit-là, nous dormirions dix, douze, quatorze heures... Nous nous lèverions les yeux à peine ouverts et le sourire maternel indiquerait une satisfaction incommensurable.
Ce serait un bel été! Bourrés de vitamines, l'intestin plus net que net, le cerveau ne manquant plus de sommeil, nous irions au terrain de jeu sans manquer une seule journée...

Chère Lulu, j'ai souvent pensé, avec un petit sourire, à ta pharmacopée autoinventée, en suivant mes cours de médecine...

Delhorno

samedi 26 juillet 2008

NOUS NE L'AVIONS PAS CHOISI

Rien n'est jamais parfait...
Nous atterrîmes au Caire le samedi soir, en début de soirée. Fatigués. Mais remplis d'espoir. L'espérance des naïfs! Ceux qui pensent que tout va changer un jour, que la perfection va s'enclencher aussitôt que l'avion se garera, que les voyageurs auront passé les douanes!
Il n'était pas là! Je scrutai l'horizon à sa recherche. Pas le moindre signe. Nous nous mîmes à tourner en rond.
-Il viendra, pourtant! Notre avion n'était pas en retard!
-Excusez-moi! J'étais en train de travailler sur mon portable, je n'en avais pas eu le temps!

Il était là, le con, assis devant nous, les yeux rivés sur son ordinateur, alors qu'il dû les avoir rivés sur nous, ses ouailles des deux prochaines semaines! Son empressement à nous amener à la boutique hors-taxe m'apparut suspect.
-Venez vite, il n'y a pas de boisson nulle part en Egypte, nous sommes en pays musulman, si vous n'achetez pas tout de suite, vous n'auriez rien à boire de tout le voyage. Nous voilà partis courant derrière lui. Je ne comprenais pas son insistance à nous conseiller les boissons à acheter... Je sortis avec deux caisses de vingt-quatre, alors que je n'en voulais point, avec six bouteilles de vin français, le tout pour plus de cent euros.

Nous n'avions pas mangé.
-Allez par là, il y a un bon restaurant.
Le con! Allez vous débrouiller à 9 heures le soir dans le centre du Caire, mégapole surpeuplée, des autos à vous rendre fou, personne ou presque ne parlant l'arabe! Ce n'était pas si facile que ça de trouver ce foutu restaurant! C'est un touriste montréalais qui quittait le lendemain soir qui nous servit de guide.

Le lendemain, une heure de marche à pied pour nous rendre au Musée National. Alors que les taxis ne coûtent à peu près rien. Une heure de perdue, car il n'y avait pas grand'chose à voir en cours de route.

Il nous avait réservé des compartiments de Première Classe sur le train Le Caire-Assouan. Vous auriez dû voir ça! Les valises entrées, pas de place pour bouger, il nous fallait rester couchés. Douze heures de train, la nuit, rien à faire, rien à voir. L'avion aurait été tellement plus simple... Et nous aurions pu visiter Assouan davantage! Il fallait en sus transporter les caisses de bière et les bouteilles de vin!

Abu Simbel! A visiter! Mais y aller en avion, de grâce! Nous, nous y allâmes en train routier. Départ à 4 heures du matin. Des véhicules militaires devant et derrière. Dix heures de route aller-retour. Il n'y a rien à voir dans le désert égyptien. Que de temps perdu quand même.

Le voyage s'est terminé par 1500 kilomètres de mini-van dans le désert ouest-égyptien, où il n'y a à peu près rien à voir. Aucun contact avec la population. Il nous avait fait miroiter une baignade dans un lac, au coeur d'un oasis dont j'ai oublié le nom. J'avais apporté mon maillot! En pratique, nous nous soumîmes à un bain de pied au bout d'un tuyau d'irrigation: l'eau en sortait bruyamment, ralentissait à peine dans un abreuvoir à vaches sur les bords duquel nous étions assis pour nous baigner les pieds!

Ce soir-là, nous arrivâmes au Caire vers seize heures. Bien joué! que je me dis... Nous allons pouvoir nous laver, faire nos valises doucement, prendre une bière égyptienne, jaser et entamer un post-mortem. Le con! Le trafic est tel au Caire à cette heure que nous n'entrâmes à l'hôtel qu'à 19h30. A peine le temps de se doucher, de faire les valises! Il nous avait réservé une surprise, l'animal! Gracieuseté du Tour Operator! Nous prenions l'avion à 2 heures du matin, et il nous fallait être à l'aéroport deux heures d'avance. La surprise, c'était un souper nautique sur le Nil. Le bateau ne partait qu'à 22 heures! Peut-on s'imaginer quel beau souper nous fîmes, inquiets, car il ne nous restait aucune marge de manoeuvre en cas de retard. La bouffe n'était pas même inoubliable. Le spectacle? Un derviche tourneur qui acheva de nous affoler et une danseuse de baladi, comme nous en avons à Chicoutimi!

A 23h30, course folle en minivan dans Le Caire: d'abord aller reconduire le Con à son hôtel, ensuite autre virée vers l'aéroport pour arriver en temps. Le chauffeur semblait ignorer à quel aéroport nous devions aller! Et il ne parlait qu'arabe!

"Quand on est con, on est con!" Chanson de Brassens. Notre guide, que nous n'avions pas choisi. Il avait engraissé de 40 livres en trois ou quatre mois, de sorte qu'aucune de ses chemises ne lui faisait. On voyait la peau de son ventre entre les boutons. Il lui fallait du vin et de la bière tous les soirs: voilà pourquoi il nous en avait fait acheter! Il avait toujours faim: dès que les plats étaient posés sur la table, monsieur se servait comme un rapace, et il en reprenait! Il avait été l'instigateur de cette escapade désertique de trois jours, coupée d'un bain exotique dans un canal d'irrigation! Pourtant, nous n'avions pas tout vu à Assouan et à Louxor. Le pire? Nous n'intéressions pas Monsieur! Après quelques jours, c'est bel et bien ce que nous ressentîmes.

Il fallait voir l'avidité avec laquelle il accepta mon pourboire au moment de notre départ... On ne s'improvise pas guide touristique. Un pure-laine, guide du Club Aventure en Egypte? Ne parlant pas arabe. Aucune étude en égyptologie... Qui engraisse de 40 livres en trois mois. Qui double et triple dîne. A qui produits de la vigne et du houblon importent tant. Qui est le penseur d'une virée de 1500 kilomètre dans le désert égyptien en minivan. Qui fait autant d'erreurs de jugement. Ca m'apparait suspect! Le gars est venu régler un problème au pays des Pharaons, d'après moi. Ou, c'est un con.

Delhorno

lundi 14 juillet 2008

MES RIVIERES: LA RUPERT

5. LA RIVIERE RUPERT


Il serait inexact d'en parler comme d'une grande amie. Ne l'ai rencontrée qu'une fois. Mais, dans le cadre de ce projet d'écriture, elle est incontournable. J'apprendrais au fil des ans qu'elle vit au coeur d'un pays immense, la Jamésie, -néologisme, incontestablement, car jamais mes maîtres ne m'ont enseigné qu'un tel pays existât au Québec- c'est-à-dire le pays de la Baie de James. Mais, il fallait d'abord s'y rendre!

Partir de Chicoutimi, se rendre à Roberval et Saint-Félicien, aborder et traverser le Parc de Chibougamau, coucher dans Chibougamau même, le lendemain, reprendre la route du nord jusqu'au village cri de Mistissini, sis sur la rive sud-est du Grand Lac Mistassini. Nous ignorions complètement que des Cris vivaient là, qu'ils y étaient organisés. Le commis autochtone du pourvoyeur nous attendait. Je me souviens lui avoir demandé:
-Would you tell me where the toilet room is located?
-We do not go very much for toilets!

Il n'y avait pas de toilette. Il fallait aller dans le bois voisin, lequel heureusement n'était pas très loin. Il m'avait répondu d'un ton que j'avais trouvé condescendant, comme s'il avait voulu me transmettre un certain mépris pour les systèmes d'égoût des blancs... Je ne lui en tins pas rancune, mais je notai tout de même qu'à l'instar des blancs, ils avaient installé l'eau potable!

Un petit Cessna blanc, quatre passagers, nous attendait. Le pilote,un anglophone rompu aux escapades dans la brousse nordique, ne parlait que pour dire l'essentiel. Je lui demandai comment il vivait l'hiver. La question était d'importance, car l'été, -donc le tourisme et la pêche- ne dure que quelques semaines en ces latitudes. Il nous répondit qu'il s'occupait des Cris, allait les mener à cent, deux cent milles plus au nord, chasser l'orignal, ramenait les malades, souvent les carcasses d'orignaux aussi, leur apportait l'essentiel. Car il ne restait plus d'orignaux au pourtour du Grand Lac Mistassini. J'en fus étonné...

Survoler du sud au nord le Grand Lac Mistassini: une affaire de quarante-cinq minutes. Les Cris géraient le campement; mais le cuisinier était un québécois! Prestement, il nous offrit à dîner, car le guide s'affairait déjà sur les quais, prêt à nous amener pêcher. C'était l'été, fin-juin, mais nous nous doutions que ce serait du temps d'automne qui nous accueillerait sur le grand lac. Habits d'hiver, conséquemment. Heureusement!

Une heure et demie de navigation avant d'y arriver. Paysages suberbes, jamais vus. Le guide cri était debout, à côté du moteur, scrutant l'horizon, impassible. Pas un mot, pas un sourire. Soudainement, un cri:
-It is here!

Nos yeux s'écarquillèrent! C'était elle, la Rupert! Nous en fûmes éberlués, n'ayant jamais rien vu de tel, pas même à la télévision. Une masse d'eau vrombissante, descendant du grand lac en cascade, se fracassant contre des rochers énormes avec une violence inouïe. Pas un endroit pour amarrer la chaloupe. Il nous fallait pêcher à contre-courant, le nez de la verchère vers l'amont, pendant que le guide maintenait la vitesse du moteur au diapason de la vitesse du courant, de sorte que nous faisions du sur-place. Nous avions rêvé de belles grosses truites rouges... Nous ne prîmes que d'énormes brochets que nous nous empressâmes de remettre à l'eau. Nous pêchâmes la Rupert sur un ou deux kilomètres, le guide cri toujours imperturbable, laconique, sans même le plus petit des sourires. Ce fut trop vite l'heure du retour. Une autre heure et demie de chaloupe sur le Grand Lac Mistassini, des paysages à vous couper le souffle, pas moyen de se dire un mot, car le grondement du moteur rendait inutile la moindre conversation. Ce fut mon seul rendez-vous avec la Rupert. Je m'étais dit que j'y reviendrais un jour... Ce jour-là n'est jamais venu.

La Rupert. Un voyage de pêche manqué sur le plan halieutique, mais aussi le souvenir d'une amitié qui ne put survivre... Quelques mois plus tard, en effet, mon compagnon de pêche, qui était aussi mon voisin, s'en fut travailler chez Gaz Métro et fut transféré à Val d'Or et ensuite au bureau-chef à Montréal.
La Rupert. Quelques beaux souvenirs, dont celui-ci: un midi, sur l'une des nombreuses presqu'îles qui entourent le Grand Lac, un dîner à la Cri, sous le soleil bienveillant des grandeurs nordiques. Petit feu de camp apprêté en un tour de main par le guide, un poêlon de fer, du steak, du maïs en grain, du pain frais, un peu de beurre, du thé. Conversation tranquille, le guide, que nous avions fini par ensorceler. douceur de vivre. Une autre fois où je pus me dire que le bonheur ressemblait peut-être à cet instant.

Prochainement: LA SEINE

Delhorno

dimanche 13 juillet 2008

MES RIVIERES: LA SEINE

6. LA SEINE

J'ai su son existence dès l'âge de six ans: la chorale du collège Saint-Edouard,dont j'étais, par crainte de chanter faux, le choriste le plus discret, avait inscrit dans son répertoire une vieille chanson française, QUELLE HEURE EST-IL?, qui commençait ainsi: "de la Seine à la Garonne". A six ans, on ne se pose pas ces questions-là. Le vocable m'a pourtant poursuivi au fil des ans! C'est au Cours Classique que j'allumai: l'histoire de France, la littérature française. Immédiatement j'ai su qu'un jour nous nous rencontrerions. La première fois, c'est du haut de la tour Eiffel que je l'aperçus, en compagnie de mon collègue Battikha. Nous étions pressés, cependant, et je n'eus point le loisir de m'y attarder très longtemps. La deuxième fois, je la côtoyai de plus près, du haut de ses ponts; mais il y avait tant à voir qu'encore une fois je dus la quitter négligeamment. Elle devint mon amie par la suite, lors de deux visites subséquentes.
Car j'avais choisi tout à dessein un logement tout près. Des heures passées sur ses ponts, ses berges, à marcher, à contempler, à simplement respirer.

Pour que la Seine devienne ton amie, Gibus, il te faudra connaître un peu d'histoire. Savoir que l'Ile de la Cité et l'Ile Saint-Louis abritèrent les premiers habitants de Lutetia. Que Jules César la conquit, sans que ses habitants le combatissent. Que les Romains établirent un camp sur la Rive Gauche. Que la Sorbonne fut fondée au 13e siècle et tire son nom d'un certain Robert de Sorbon qui y avait fondé un collège. Que Paris a toujours été agitée au fil de ses rois, de ses petites et grandes révoltes. Que les rois de France ont légué à Paris un ensemble architectural époustouflant. Que la légende napoléonniene se fait sentir du cimetière du Père Lachaise jusqu'à l'Arc de Triomphe. Que Molière y a son quartier, autour de la Comédie Française. Que Victor Hugo résida à Place des
Vosges et que son domicile existe encore. Que la botte nazie mit Paris en tutelle en 1940 et que l'état-major allemand résidait à l'Hôtel Lutetia. Que l'Hôtel-Dieu de Paris existe depuis le 7e siècle et traite ses malades depuis sous le même nom. Qu'on a mis en évidence, en face du parvis de Notre-Dame, un site archéologique témoignant des tout débuts de l'implantation humaine à Paris. Que tu verras Le Penseur au musée Rodin. Que Paris est belle, finalement, et parle français. Qu'elle mange bien et boit encore mieux.

C'est à tout ça qu'il faut penser quand on arpente les alentours de la Seine. Chaque pas devient alors un pèlerinage, chaque coin de rue un chapitre d'histoire. Car il te faut, autour de la Seine, à Paris, marcher tout doucement, en regardant de tous les côtés. Dieu que j'ai regretté de n'avoir pas eu ni la chance ni le dessein d'y aller étudier.

Delhorno

MES RIVIERES: LA MISSISSIPI

4. La rivière Mississipi

Pas certain qu'elle ne soit qu'une rivière... Les Américains disent Mississipi RIVER. Il semble que l'anglais ne fasse pas de différence entre une rivière et un fleuve; tous deux sont RIVER. En ce qui concerne, le Mississipi serait plutôt un fleuve qu'une rivière. Mais bon... Elle avait été française, le savais-tu, Gibus. Relis ton histoire.

Plus grand fleuve des Etats-Unis, selon l'enseignement de mes maîtresses d'école. C'est tout ce que j'en savais. Jusqu'à la fin-juin 1971. J'arrivai cet après-midi-là, par l'autoroute 35, de Duluth et du Canada. C'était la canicule à Minneapolis: une senteur de maïs brûlé ne manquait pas de vous répugner. Nous étions fatigués. Chambre bas-de-gamme dans un Howard Johnson pour quelques jours. Il fallut tout de suite chercher un appartement, que nous dénichâmes, après essais et erreurs, dans le nord de la ville, sur Foss Road. Location de mobilier. Le lundi matin, je garais ma Datsun orange-brûlée sur le stationnement surélevé des University of Minnesota Hospitals. C'est alors, à ce moment exact, que je la vis. La MISSISSIPI RIVER. Elle me déconcerta quelque peu, par sa piètre largeur. Je l'avais imaginée plus spectaculaire, fourmillant de DELTA QUEEN, de barges et de remorqueurs. Rien de tout cela. Je la côtoyai durant les quinze mois suivants. Relations que je qualifierais de "routières", car je ne l'aperçus jamais que du haut de mon stationnement ou des ponts qu'il me fallait traverser.

Elle séparait Minneapolis de St-Paul. Je m'étais rendu là à cause de quelques hommes: Christian Barnard, première transplantation cardiaque, les frères Grondin, chirurgiens cardiaques à Montréal, Emile Bertho, le premier chirurgien cardiaque de Chicoutimi. Je m'aperçus bientôt que je n'avais pas l'étoffe d'un chirurgien cardiaque, que je ne savais pas l'anglais, que je ne pourrais pas demeurer là bien longtemps. Immersion douloureuse, sinon pénible, s'il en fut une...

Je dus, sous pression, apprendre l'anglais, en quelques mois. Les Américains de Minneapolis me montrèrent ensuite leur WAY, THE AMERICAN WAY, faire les choses rapidement, avec agressivité, "get things done", ce qu'on ne m'avait pas enseigné à Chicoutimi et Québec. Ils m'initièrent à ce traitement nouvelle vague, PARENTERAL HYPERALIMENTATION, à insérer les sondes sous-clavières nécessaires à l'instillation de ces nouveaux solutés. J'apprendrais à travailler fort, tout le temps, à négliger ma vie personnelle et celle de celle qui m'avait suivi par amour, et celle de mes enfants à venir, dans la poursuite d'une tâche prométhéenne... La maladie, en effet, est éternelle. Quand je revins au Québec, en octobre 1973, j'avais changé...

C'est sur la rive ouest du Mississipi, un samedi soir, le 5 août 1972, qu'il naquit, les cheveux tout noirs, l'air intelligent. Il fut tant aimé. Trop, peut-être? Mes frères, ma belle-soeur, vinrent "se virer", son parrain, notamment. Mes beaux-parents, aussi.

Minneapolis, ce fut aussi la rivière Minnetonka, Le Hennepin County, les rues Marquette et Jolliet, en l'honneur de ces français qui y vinrent les premiers. Marion Tallent, un collègue du South, qui avait enregistré un disque country à Nashville. Il voulait devenir chirurgien, mais il m'avait plutôt l'air d'un guitariste dixie... Bill Weintraub, le premier "New York Jew" que j'aie jamais rencontré, mais aussi le plus bel "enfant de c..." qui eût jusque là croisé ma vie. John Najarian, le grand chef, ex-footballer pour l'université de San Francico. Il s'adonnait à la transplantation rénale. Je fus capable de lui dire, d'homme à homme, que je retournais chez moi, en septembre 1972. Bart Cuderman, un de mes chef-résidents. Celui-là me ridiculisait parce que je parlais mal anglais. Je le recontrai quelques années plus tard dans un congrès: "I became a good surgeon in spite of you"... Dick Something, qui vint manger un soir chez nous; il voulait devenir urologue et s'établir à Sacramento, Californie. Ne l'ai jamais revu. Jean QuelqueChose, un Armoricain, qui avait épousé une chicoutimienne. Il faisait de la recherche dans les soubassements de l'hôpital. Il m'enseigna à surrénalectomiser des rats et m'introduisit à la chronobiologie. Sa vie prendrait une tangente marginale et on l'interdirait de pratique. Ironie du sort... Ce boucher de Green Bay, au Wisconsin... Je l'avais opéré d'une hernie inguinale. Il m'avait aimé. Lors de la visite de relance, il m'apporta un filet mignon long de deux pieds! Je n'avais jamais vu ça de ma vie. Jean-Claude Tremblay, le défenseur de Bagotville. Nous allâmes le voir jouer à deux reprises contre les North Stars. Les Gophers, aussi, l'équipe de football de l'Université du Minnesota. Un samedi après-midi. Non! Je n'ai rien vu d'autre! Si! Rochester, la Mayo Clinic, un dimanche. Mais rien de l'Iowa, ni des Dakota, à peu près rien du Wisconsin et du Michigan. Nous aurions pu, pourtant. Si seulement j'avais su...

Une nuit, -il venait à peine de naître- je m'endormirais sur l'autoroute en revenant du VA Hospital. J'aurais pu y laisser ma peau... L'autorité chirurgicale m'avait indiqué qu'ils ne me garderaient pas pour les années suivantes. Ca m'avait ulcéré. J'appelai Nicole Wells à Chicoutimi, lui précisai mon désarroi et mon désir de revenir chez moi. "Viens-t'en", qu'elle me dit.

Nous partîmes de Minneapolis un beau matin de septembre. Le soir-même, coucher à Kalamazoo, dans le Michigan. Ce fut ensuite Peterborough, chez la belle-soeur, et l'arrivée, le lendemain soir, au Saguenay. Je n'oublierai jamais le visage de Mutt, quand il le prit dans ses bras. Arrivé fauché à Minneapolis, je la quittai également fauché! La vie continua... Quelques mois plus tard, je sauverais d'une mort certaine un dénommé Jean Champigny: je simplement mis en pratique ce qu'on m'avait appris sur les bords du Mississipi, HYPERALIMENTATION.

Demain: La Rupert

Delhorno

vendredi 11 juillet 2008

MES RIVIERES: LA ROUGE

3. LA RIVIERE ROUGE

Elle m'est venue un peu plus tard, à 17 ou 18ans. Par les Clubs 4-H. Un job de moniteur de camp d'été. Les deux premières semaines, nous allions à Réserve de Parke, tout près de Saint-Alexandre de Kamouraska. Les deux dernières, nous déménagions nos pénates au lac Monroe, à l'autre bout du Québec, dans le parc du Mont-Tremblant. Il y eut un changement la dernière année: ça serait la Rivière Rouge. Le campement avait été construit pas très loin de la rivière, qui faisait une chute ultra-pittoresque à cet endroit. Elle faisait aussi un énorme méandre avant de se muer en cascade. J'y emmènerais quinze ans plus tard deux merveilles: un petit garçon "mal commode" et une petite fille blonde qui m'enlevait tous mes moyens. Nous nous baignerions dans ces eaux calmes sans jamais nous douter de ce que l'avenir nous réservait.

La rivière Rouge. Nous couchions dans le bâtiment principal qui regroupait la salle à manger, la salle de réunion et la cuisine. Nos lits étaient regroupés tout près des étals du cuisinier. Les plus vieux dormaient dans les couchettes du bas. Je dormais donc au deuxième étage: Dieu qu'il y faisait chaud! Grosse leçon de camaraderie... Dans ces camps de vacances pour jeunes, ce sont ceux-ci qui importent, qui prennent toute la place. Les gros égos doivent s'effacer...

La rivière Rouge, ce fut: l'autoroute du Nord, St-Jovite, Grenville et Hawkesburry, l'amitié, l'oubli de soi, tout un pan du Québec fort différent de ce que j'avais connu jusqu'alors, la simplicité de l'environnement, des moyens, des rapports humains. C'est aussi là que je découvris LE PETIT TRAIN DU NORD, la chansonnette de Félix Leclerc. Parmi des archives de tous acabits. Je me souviens avoir joué la musique à la flûte à bec avant de pouvoir la chanter et la faire chanter aux jeunes. Je me doutai alors, à travers LE PETIT TRAIN DU NORD, qu'il y avait une autre sorte de musique: le jazz. Ca devait devenir une des grosses affaires de ma vie...

Demain: le Mississipi

Delhorno

jeudi 10 juillet 2008

MES RIVIERES: LA MALBAIE

2. LA RIVIERE MALBAIE

La Malbaie. Ce nom s'était approprié une valeur mythique dans le monde des Delhorno au début des années cinquante. Il vous savoir que les Delhorno étaient gens de chasse et de pêche depuis l'installation de l'ancêtre en Nouvelle-France. L'un des leurs avait été réputé le meilleur chasseur de l'Isle-aux-Couldres au début du 19e siècle. Il n'était pas facile, dans le temps que je vous parle, de se faire octroyer un territoire de chasse et pêche au pays de Québec. Il vous fallait être politiquement bien placé, au bon endroit, au bon moment. C'est l'exploit que réussirent les Delhorno, aidés de l'oncle Pierre-Alphonse, du curé Boily, de Chantal Tremblay et des frères Oscar et Jean-Marie Boulianne. "Le Club de Chasse et Pêche Notre-Dame des Flots". Un triangle de rêve dont le côté nord était situé entre les 2e et 3e ponts sur la rivière Malbaie. Le territoire se rétrécissait sournoisement en direction du lac Moreau, du lac des Bouleaux, ceux de la Grosse Femelle, de la Fringale et des étangs d'Argentenay.

La rivière Malbaie... Elle fut, je pense, le second amour de Mutt jusqu'à ce qu'il ne puisse plus s'y rendre, au début des années soixante. Il la connaissait comme le fond de sa poche. Le Premier Pont, Le Deuxième Pont, la décharge du lac Moreau, la décharge du lac du Cran Rouge, le Troisième Pont, le Grand Remous. Oh! Que de fois nous entendîmes résonner ces vocables quasi homériques dans la cuisine de la maison. Histoires de pêche, de chasse, de randonnées, d'incidents, de chicanes!

Je vous ai raconté, je crois, l'histoire de mon premier voyage de pêche sur la Malbaie. Il y eut aussi celle-ci, qui survint un froid samedi de novembre, sur la colline qui surplombe le ruisseau du Cran-Rouge tout près de son arrivée dans la rivière Malbaie. Il y avait là le cousin Gaston, Mutt, mon petit frère Marcel et moi, Claudio Delhorno. Gaston était venu visiter ses pièges à vison, ainsi qu'il le faisait hebdomadairement. Nous marchions tout doucement, et nous parlions bas, ainsi qu'il se doit, dans les bois. Tout à coup, Marcel chuchota:
-Regardez, regardez ce qu'il y a là-bas!
C'étaient de belles taches noires qui glissaient dans l'eau à partir de la blanche berge escarpée du ruisseau. On aurait dit des enfants faisant du toboggan. Nous restâmes interdits plusieurs instants. Des loutres! Mutt n'avait jamais vu ça de toute sa vie. Les spectacles, malheureusement, s'achèvent toujours. Les loutres, sans doute, sentirent notre présence incongrue et disparurent. Des spectacles, j'en ai vu tant et tant depuis ce samedi de novembre. Celui-ci, sur les bords de la rivière Malbaie, un samedi froid de novembre, du vivant de Mutt, je ne l'ai jamais oublié.

Un autre samedi matin, que j'étais venu de l'université pour aller chasser avec Mutt. Un petit étang, tout à côté de la Malbaie, où nous étions plus ou moins embusqués. Deux beaux canards tout à coup amerrissent à nos pieds, dans une frénésie qui sema la panique chez Mutt, qui ne parvint jamais à charger son fusil!
-Donne-le-moi! lui dis-je exaspéré.
Il ne voulut point. Je l'ai toujours soupçonné de n'avoir pas permis ce meurtre. Au fil du temps, à force d'avoir vécu tout près de la vie et de la mort dans les hôpitaux, j'ai souvent remercié Mutt de son incompétence lors de ce samedi: elle a permis que nous laissions vivre ces deux amis ailés.

Je n'oublierai pas, non plus, cette orignale que nous vîmes courir devant nous un autre après-midi d'automne. Nous ne sommes que peu nombreux à avoir vu ça. Ce gros ours noir, aussi, qui, poltron, se sauvait à en perdre haleine. Ces castors, inlassables, qui éclusaient tout ce qu'il y avait de rus et de ruisseaux sur les bords de notre rivière.

La Malbaie? Je l'ai marchée, je l'ai respirée, je m'y suis trempé jusqu'aux épaules, je l'ai tant et tant regardée, admirée, je l'ai tant aimée.

Plus tard, plus vieux, j'organiserais une escapade aux "Eaux-Mortes de la rivière Malbaie". J'y voguerais toute une journée, toute une soirée, jusqu'au pied des chutes qui descendent du lac Malbaie. Le beau-frère y prendrait une superbe truite, un trophée, que nous n'oublierions pas. Je ferais tout ce voyage en pensant à Mutt, qui m'avait parlé de ces eaux mortes comme d'un Eldorado, en pensant aussi à Menaud et au Huard...

Demain: LA RIVIERE ROUGE

Delhorno

mercredi 9 juillet 2008

MES RIVIERES: LA RIVIERE A MARS

Il en va des rivières comme des amis, comme des chansons, comme des écrivains. Certaines et certains vous suivent votre vie durant et semblent faire partie intégrante de votre être. Venant de Montréal cet après-midi, j'ai traversé la rivière Pikauba, qui prend sa source dans le coeur du parc des Laurentides et court se jeter dans le lac Kénogami. Ca m'a fait penser, chers Gibus et MCPherson, qu'il me fallait, aujourd'hui, vous parler des rivières de ma vie.

1. LA RIVIERE A MARS

Son nom manque peut-être un peu de charme... Nommée ainsi en l'honneur de Mars Simard, le premier colon de Bagotville, qui bâtit sa maison tout près de l'embouchure de ce cours d'eau. Cette rivière est fort importante pour moi: car c'est Mutt qui me la fit découvrir. J'avai à peine cinq, six ou sept ans. Un taxi nous amena de Port-Alfred, Cinquième Avenue, peu après la messe du dimanche, en amont; j'ai complètement oublié l'endroit exact où nous débarquâmes. Toujours est-il que Mutt avait apporté sa canne à pêcher. Nous longeâmes donc la berge sud de la rivière en direction de son estuaire. Mutt était laconique, c'est-à-dire un homme de peu de mots... Je sus ce matin-là qu'il avait pêché dans cette rivière une partie de sa jeunesse, qu'il y avait pris de belles truites et des saumoneaux. Ironie du sort, il ferra un jeune saumon ce matin-là!

Quelques mois, ou quelques années plus tard, Thérèse, la soeur de ma tante Claire, me fit découvrir un aspect nouveau de la rivière à Mars: on pouvait s'y baigner. Elle m'y emmena quelquefois, et je lui en saurai gré jusqu'à la fin de mon existence.

La rivière à Mars fut aussi celle de Louis-Joseph. Mon beau-père. Il me racontait, d'une verve que je ne lui connaissais point, comment lui et son père pêchaient dans une fosse située pas très loin du "tracel", la nuit, au fanal, des saumons énormissimes qu'ils revendaient au cuisinier du bateau de la Canada Steamship. Je ne me lassais point de lui faire revivre ces temps épiques, d'autant plus que le saumon a pratiquement disparu de la rivière à Mars de nos jours.

La rivière à Mars fut encore celle du curé Boily. Il y possédait un chalet, en amont de Port-Alfred et Bagotville, où il emmenait ses monitrices de son terrain de jeu se baigner, en fin de journée, après la fin des activités. Parmi ces monitrices, il s'en trouva une qui changea ma vie: c'est le curé Boily qui nous maria.

Mon souvenir le plus récent? 1976. Traverser la rivière à Mars "caminando", sur le "tracel", de la rue St-Jean à la Cinquième Avenue, où résidait ma mère, chez laquelle j'allais étudier chaque matin en vue de l'examen de chirurgie. Mutt nous avait quittés peu auparavant. Bien des choses avaient changé dans la maison de mon enfance. Le bonheur, notamment, qui s'était enfui.

Demain: LA RIVIERE MALBAIE

Delhorno

jeudi 3 juillet 2008

GUY BEART

Vous en souviendrez-vous, Gibus et McPherson?
Si tu reviens jamais danser chez Temporel
Un jour ou l'autre
Pense à ceux qui tous ont laissé leur nom gravé
Auprès du nôtre...
Eh oui! Un autre de mes grands amis. En fait, il était mon ami, mais ignorait totalement que je le revendiquais comme ami. Fin des années cinquante, début des années soixante. J'ignore tout à fait pourquoi je vous parle ce soir de Béart. Ca m'est venu comme ça, tout bonnement. J'ai acheté trois ou quatre de ses vinyles (33tours). Ceux-ci sont venus après les 78 tours. Il y eut aussi les 45 tours.

L'avons découvert ma mère et moi, au déjeuner, à la radio, avant l'école. LE CHAPEAU. C'était de lui. Longtemps j'ai su par coeur cette chanson. L'EAU VIVE, BAL CHEZ TEMPOREL, CHANDERGANOR, OBELISQUE, LAURA, IL Y A PLUS D'UN AN, DANS REGRETTABLE ...

Ne dites pas qu'il n'y a rien dans les chansonnettes. J'y ai appris une partie de ma culture et beaucoup de mon français.

Béart est disparu de la circulation à la fin des années soixante. "Ringard", qu'on a dit. Dommage. J'ai adoré sa poésie et ses chansons. Il vit encore, semble-t-il. Près de Paris. A eu un cancer à un moment donné. Un surdoué.

Delhorno

mercredi 2 juillet 2008

LE CLUB DE GOLF DE PORT-ALFRED

Dans quelques heures, je décocherai sur le tertre de départ #1 à Port-Alfred. Banalité, me diras-tu, cher McPherson. Eh bien! Non. Ce ne sera pas et ne sera jamais une banalité. Car c'est là que j'ai joué au golf pour la première fois, avec André, mon frère, nous partagions le même sac, des bâtons de bois achetés de Reine-Marguerite Bergeron, la maîtresse d'école, pour quelques dollars. Que de désillusions y avons-nous vécues... J'avais dix ans à peine, André huit. L'oncle Fernand nous avait enseigné, fort brièvement il faut le dire, les pseudomystères de l'élan de golf et... nous voilà lancés. Que de balles perdues, que de parties brisées à jamais. Mais que de beaux souvenirs aussi.

Le Port-Alfred était un neuf trous à l'écossaise, construit à l'origine pour et par les Anglais qui venaient travailler à la Consol: les Hogan, les Sweeney et plusieurs autres dont j'ai oublié les noms. Les pure-laine suivirent le mouvement, dont les Delhorno, Mutt et mes oncles Frenand et Raymond, qui furent parmi les premiers francos à s'essayer au jeu des anglais. La suprématie anglophone était terminée quand Dédé et moi nous mîmes au golf. Les pure-laine avaient pris le contrôle du lieu, tout s'y passait en français.

Du plus loin que je me souvienne, je n'ai jamais su l'élan de golf comme il faut. Manque de talent naturel, sans doute. J'aurais dû, on aurait dû me le dire, prendre des cours du professionnel. On ne semblait pas penser à cela à cette époque. J'ai continué à m'essayer, toutes ces années, avec une ardeur et un amour jamais taris, traînant des années durant un slice dévastateur, des coups ratés par une trop grande impétuosité. Quelques beaux coups, aussi, qu'on n'oublie jamais et qui vous font revenir le lendemain.

J'ai réussi mon premier birdie sur le trou #3, une normale 4, lors d'un tournoi pour gamins. J'avais deux coups d'effectués et la balle se trouvait au début du vert. Je pris le petit "chipper" brun de l'oncle Fernand et la balle retrouva le trou. Je me souviens qu'on me donna une balle de golf en cadeau pour cet exploit.

Mutt ne fut pas un très grand joueur, je pense. Car une fois il vint jouer avec moi, la seule fois de ma vie où je le vis s'élancer au golf. Son élan n'était pas très bon... si ma souvenance est exacte. A sa décharge, je vous avouerai que c'était presque l'hiver ce matin-là chez nous à la Baie.

L'oncle Fernand, par contre, était un champion; il avait remporté la plupart des tournois du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Peu patient, par contre, impatient même. Toujours pressé d'en finir. c'est ainsi qu'il m'a perdu comme ami. L'oncle Raymond frappait fort, mais souvent croche. Pas un très grand joueur. Ces gars-là étaient incapables de parler à leurs neveux...

J'ai travaillé comme étudiant sur mon terrain de golf! J'avais vingt ans, vingt et un an. Les verts des trous #4 et #5, c'est moi qui les ai fabriqués, en compagnie d'Isoland Claveau de St-Félix et de quelques autres.

Il y eut aussi l'époque des trois frères Delhorno: André, Marcel et Claude. Nous avions coutume, durant ces quelques années, de jouer un neuf à cinq heures le soir. Notre partenaire préféré était Alain Gagné. Quelquefois, Nicole Janelle se joignait à nous. Mutt venait nous voir jouer sur les trous #7 et#8. La partie terminée, nous ne manquions jamais de siroter une bière au clubhouse, tout en commentant nos faits d'armes. Lulu nous attendait à la maison avec le souper prêt. Mutt ne se privait pas d'ironiser sur notre calibre de jeu, à grands renforts d'éclats de rire.

Mon plus bel exploit? Jérôme devait avoir 10 ou 11 ans. C'était un tournoi de gageurs, par équipes de quatre. Notre capitaine était un Harvey d'Alma. Il y avait aussi Michel Simard, l'ex-lanceur de baseball, Julien Côté, le fils de Roland Côté. Nous étions en prolongation sur le trou #1. C'en était fini de notre équipe si nous ne réussissions pas ce grand putt de trente pieds qui descendait vers le début du vert. Les deux premiers à "putter" avaient pensé que le putt tournait vers la droite et l'avaient manqué. Moi, je savais d'instinct, pour avoir joué ce vert depuis ma tendre enfance, que ce putt tournait vers la gauche. La pression était énorme... Je visai un pied à la droite du trou et la balle se dirigea dans le trou! Il s'ensuivit une clameur que je n'avais connue jusqu'alors dans ma vie. Les spectateurs étaient tous des baieriverains qui m'avaient connu depuis ma tendre enfance et qui étaient fiers de ce putt tout autant que moi. Ce putt nous permit de gagner la deuxième place et me permit d'engranger plus de mille dollars! Car j'avais gagé sur les chances de mon équipe. J'avais gagé "PLACE"! Notre équipe ayant été négligée par les parieurs, je m'en retournai à Chicoutimi avec la totalité de la cagnotte! Jérôme était mon caddie ce jour-là: il réclama son dû! Dix pour cent de mes gains!

J'ai quitté Port-Alfred à l'âge de vingts-six ans. Sans jamais avoir oublié mon terrain de golf. Chaque été, je m'efforce d'y effectuer un retour, comme une sorte de pèlerinage. Mais, ce n'est jamais un effort, et c'est toujours une belle journée.

Delhorno

dimanche 29 juin 2008

PETITE FLEUR

C'est à la radio que nous l'entendîmes pour la première fois. Un certain Sydney Bechet. 1954. Du jazz style Nouvelle-Orleans. Pourtant, ça venait de France! Pour ma mère et moi, ce fut un coup de foudre. La musique s'imprima dans nos deux têtes instantanément. Quelques jours plus tard, maman la pianotait. Elle la jouerait plusieurs années. Souvent, Mutt s'installait sur le divan du salon; il mordillait son briquet tout en écoutant sa pianiste préférée, qui jouait "à l'oreille", c'est bien important de le dire. Mutt ne riait ni ne souriait que rarement... Sauf quand ma mère lui jouait PETITE FLEUR: ça le faisait sourire. Nous en vînmes à en savoir davantage sur Bechet.

1958. Exposition universelle de Bruxelles. Bechet représente les USA à l'expo. Avec d'autres jazzmen américains. Ils jouent ST LOUIS BLUES, SWANEE RIVER, BACK HOME AGAIN IN INDIANA et... PETITE FLEUR! Je demandai un disque de Bechet à ma mère comme cadeau de Noël. Il n'y avait rien de tout ça chez nous à la Baie. Lulu monta à Chicoutimi rencontrer monsieur Marchand, le vendeur de "records" de la rue Racine. C'est ce disque de l'Expo de Bruxelles qui me fut donné en cadeau ce Noël-là. Les mots de Bechet n'ont jamais quitté ma souvenance depuis lors: "And now I'd like to play for you PETITE FLEUR."

Bechet devait décéder en 1959. Auparavant, les Français lui avaient fait conter sa vie et avaient enregistré ses propos, ainsi que sa meilleure musique, sur deux disques que faisait jouer à profusion Guy Mauffette au "Cabaret du Soir qui Penche" qui, en passant, a été mon programme radiophonique préféré durant toute ma jeunesse. Ma mère remonta à Chicoutimi: monsieur Marchand me fit venir de Paris ces deux trente-trois tours. J'ai dû écouter la musique de Bechet des centaines de fois! Au point qu'on me titillait là-dessus.

Les années passèrent. Université du Minnesota. Fin-juin 1973. C'est le banquet de fin d'année des résidents en chirurgie. J'arrive en retard. On me place finalement avec les musiciens. J'en fus froissé à prime abord... Je me mis à causer avec l'un d'entre eux, le clarinettiste. Il me dit qu'ils allaient jouer du New Orleans jazz et avant d'entrer en scène, il demanda si j'avais un morceau préféré.
-Could you play PETITE FLEUR for me?
-Sure!
Quelques instants plus tard, à la grande surprise de toute l'assemblée, je l'entendis annoncer mon air fétiche "dedicated to the young french surgeon we just had dinner with."

Juin 2006. Moscou. Hôtel Metropol. J'y ai invité ma fille. Nous sommes un peu déçus, car le grand restaurant coiffé d'un dôme où nous voulions manger a été réservé pour une noce. On nous offre l'autre restaurant, vieillot, mais avec un certain charme. Pas loin de nous, un pianiste d'un autre âge, le dos voûté, le crâne dégarni, joue le jazz avec un talent et une assurance incontestables. Je lui écris un mot:
-Pouvez-vous jouer PETITE FLEUR et l'offrir à ma fille Annie de ma part?
Le maître d'hôtel, l'autre garçon et le pianiste se concertent: ils n'arrivent pas à lire cet alphabet arabe, eux qui vivent du cyrillique! Annie se lève, va leur parler et vient se rasseoir. Tout de suite, notre homme enchaîne avec PETITE FLEUR. C'était très émouvant. Un peu plus tard, ma fille et moi déambulerions sur la Place Rouge tout illuminée, à minuit le soir.

Quand ma fille se marierait, l'été suivant, j'ourdirais le complot de remplacer le proverbial discours paternel par un air de saxophone. Personne ne s'attendait à ça, évidemment. Je commençai à parler, mon aîné vint m'interrompre, mon cadet apporta le saxophone et j'annonçai:
-And now I'd like to play for you PETITE FLEUR!
Il n'en fallut pas plus pour que ma fille s'écroulât en larmes.

Juin 2008. Munich. Je déambule solitaire sur la grand'place. Bourrée de monde. Tout près de moi se trouvent deux musiciens: un contrebassiste, un clarinettiste. Je me tourmente. Vais-je leur demander? J'ose:
-Would you play PETITE FLEUR for me?
Le clarinettiste me gratifie d'un large sourire et y va d 'un fa suivi du mi que je ne connais que trop bien et qui me font l'effet d'un médicament. Je pense que le clarinettiste attendait qu'on lui demande...
La semaine passée. On m'appelle de Biarritz. J'entends mal. Ah! C'est Gilles, mon frère.
-Claude, entends-tu la musique qui joue?
-Mal!
-C'est PETITE FLEUR! Joué par un orchestre de bonhommes de ton espèce!

Ah! Je ne le sais que trop bien, cher McPherson, tu vas t'imaginer que j'ai commencé à radoter, que je ressasse le passé pour me désennuyer, que j'ai cessé de regarder en avant, etc... Mon point? On dirait qu'il y a des choses, des personnes, des objets, des chansons, des airs de musique, qui nous accompagnent toute une vie. Qui sont là, présents, dans les moments spéciaux, qui apparaissent incontournables. On dirait qu'au moment propice, tout se met en place pour que CA arrive! C'est le cas de PETITE FLEUR, je pense, en ce qui me concerne.

Delhorno

jeudi 26 juin 2008

MILLE SOLEILS SPLENDIDES

Lu récemment. A lire. De Khaleid Hosseini. Traduit de l'anglais. L'auteur est né à Kaboul. Droit d'asile aux Etats-Unis en 1980. C'est son deuxième roman. Le premier? LES CERF-VOLANTS DE KABOUL, que j'ai lu l'an passé. A lire lui aussi. Je te recopie, Gibus, quelques trouvailles que j'ai recueillies en lisant le livre.

"NUL NE POURRAIT COMPTER LES LUNES QUI LUISENT SUR SES TOITS
NI LES MILLE SOLEILS SPLENDIDES QUI SE CACHENT DERRIERE SES MURS"
Mille soleils splendides, p. 189

"UN ANE TETU A BESOIN D'UN MULETIER A SON IMAGE"
Mille soleils splendides, p. 201

"DE MEME QUE L'AIGUILLE D'UNE BOUSSOLE INDIQUE LE NORD, UN HOMME QUI CHERCHE UN COUPABLE MONTRERA TOUJOURS UNE FEMME DU DOIGT. TOUJOURS. NE L'OUBLIE JAMAIS."
Mille soleils splendides, p. 354

Delhorno

LE SAUMON DE LA RESTIGOUCHE

Il y a dans la Restigouche
Un gros saumon qui louche;
Il mordra, j'en suis sûr,
A ton appât bleu-azur.

Te combattant si fort,
D'avoir lutté si longtemps,
A tes pieds presque mort,
Il te dira, hoquetant,
De son oeil qui louche:
-C'était ma vie, Celin, la Restigouche.

Delhorno

LE QUEBEC, LA FRANCE: CE QUE J'EN PENSE

Monsieur Charest y est allé, madame la Gouverneure Générale aussi. Monsieur Dumont n'a pu s'en passer, ni messieurs Bouchard et Landry. En fait, ils y vont tous, depuis Honoré Mercier, en passant par tous les autres ou presque, surtout depuis que le Général de Gaulle a parcouru le "Chemin du Roy".
Ils vont à l'Elysée se faire embrasser, se faire roucouler que nous, les Québécois, tenons dans leur coeur une place privilégiée, qu'ils n'oublieront jamais Vimy, Dieppe, la Normandie. "Nous sommes des vôtres, cousins québécois, mais... que ça reste entre nous!"
Douce france, mère-patrie de mes aïeuls, il y a belle lurette que tes sérénades me laissent indifférent. Tu nous as laissé tomber en 1759-1760! Si tu nous avais mieux aimés, tu nous aurais mieux défendus... Tes soldats auraient été plus nombreux, tes navires aussi... LE BIENFAISANT n'aurait pas eu à se saborder à l'embouchure de la Restigouche. Mes ancêtres n'auraient pas eu à passer l'hiver 1759-1760 sur les hauteurs de Baie Saint-Paul parce que leurs maisons de l'Ile-aux-Couldres avaient été brûlées par les Anglais; ton roi -peu de Québécois le savent- mal conseillé, probablement pas assez futé, lors du traité d'Utrecht de 1763, a laissé aller l'Amérique du Nord Française au profit du sucre de la Martinique et de la Guadeloupe; c'est Napoléon Ier, ton empereur, qui a vendu la Louisiane pour financer se guerre sur le continent européen. Rien que cette dernière année, j'ai eu l'occasion de parcourir cinq textes d'intellectuels français qui déplorent la maladresse de Paris dans le cas de l'amérique du Nord française; "Pouvons-nous, écrivent-ils, simplement imaginer ce que serait la France d'aujourd'hui, si des gouvernants mieux conseillés, plus éclairés, avaient su conserver la Louisiane, les états du Mississipi et le Canada?"
Oubliés de la mère patrie, nous le fûmes et le demeurons. A tel point que je mets au défi quiconque de trouver un investissement français notable en terre québécoise depuis cinquante années.
La triste affaire Renault? Triste affaire, en effet.
Total? C'est en Alberta.
Michelin? C'est en Nouvelle-Ecosse.
Mécachrome? Pas pire, mais ils en sont aux balbutiements. Sache toutefois, lecteur, que les Français de l'avionique, c'est du côté d'Embraer à Sao Paulo qu'ils sont.
Alstom? Ne fait pas le poids.
Les vins? Les parfums? Oublions ça!
Les trains? La France est un compétiteur dans ce domaine.
La culture? La Comédie Française'est finalement décidée à venir à Montréal cet été. Un écrivain français vient parader chez Christine Charette à tous les six mois!
TV5? Peut-être...
Echanges universitaires? Anecdotiques, à mon sens.
Des cuisiniers? Des restaurants français? Certes, oui!
Mais, le Tour de France?

En contrepartie, la France a investi des milliards d'Euros au Brésil, sans compter ce que nous ignorons qu'il se passe en Chine et en Europe de l'Est. Au grand total, depuis la Conquête, la nation de Vercingétorix, de saint Louis, de Jeanne d'Arc et du Général est une grande absente au pays de Québec, à presque tous les points de vue. Le Quai d'Orsay a magnifiquement qualifié cette façon de faire de "non-indifférence"!
Voilà pourquoi les grimaces parisiennes de la Gouverneure et de mes Premiers Ministres me portent à sourire... Peu me chaut, en effet, que la France de monsieur Sarkozy ne sache plus comment déclamer son "indéfectible amour du Québec", car je le sais, moi, intimement: la France aime le Québec du bout des lèvres!

Delhorno

MOLIERE

Il ne fait pas très beau à Chicoutimi depuis deux semaines... On se penserait en novembre, alors que c'est l'été, fin-juin. Il pleut quotidiennement et souvent plus que quotidiennement. Que faire pour se distraire de la pluie? La télévision, oui, c'est ça! On y donnait un Molière cet après-midi, une espèce de périphrase de Molière jeune, avant qu'il ne parte en tournée en province et ne quitte Paris pour une longue période. Il y avait Tartuffe, monsieur Jourdain, Célimène, Oronte, la soubrette. Mais surtout, le texte!
"L'homme galant devrait se méfier de lui-même lorsque lui prend la démangeaison d'écrire"
Ce qui m'a fait sourire... et m'incite maintenant à écrire.

J'ai connu Molière en 1960, grâce au frère Pierre, qui offrit à quelques-uns d'entre nous de monter une pièce de théâtre que nous présenterions à la fin de l'année. LE MALADE IMAGINAIRE. Il y eut quatre ou cinq représentations de la pièce, dont une à l'hôpital de Roberval. Un ballet à l'entr'acte, comme au temps de Molìère, et une musique sur un rythme de cha-cha, WHEELS. Nous n'y étions pas de très grands acteurs, mais le frère Pierre nous avait ouvert un chapitre jusque là inédit de la vie. A partir de cette époque, je me suis dit que je serais instigateur d'une troupe de théâtre si jamais je devenais prof. de littérature française.

Les deux années suivantes nous amenèrent au Petit Séminaire de Chicoutimi. Nous y fîmes connaissance avec LE MISANTHROPE, LE BOURGEOIS GENTILLHOMME, MONSIEUR DE POURCEAUGNAC et surtout avec leur auteur, Jean-Baptiste Poquelin, dit MOLIERE.

Quelques années plus tard... Nous sommes, des amis, en Languedoc, à Campagnan. Il faut passer par Pézenas pour arriver à Campagnan. Pézenas, nous dit-on, c'est la ville de Molière. "Si Jean-Baptiste Poquelin est né à Paris, Molière est né à Pézenas" a écrit Marcel Pagnol.

Deux mille trois. Je suis à Paris. Seul. Je matérialise un rêve de jeunesse. Quartier des Tuileries, que je marcherai pas à pas. Là, c'est la COMEDIE FRANCAISE! On y donne LE MALADE IMAGINAIRE ce soir. J'y serai. Il vous faut, chers Gibus et McPherson, vous trouver là, un soir, avant qu'il ne soit trop tard.

Le lendemain, marchant dans les alentours, je remonte la rue de Richelieu. Cette fontaine, à gauche, en hommage à Molière. Je tourne le regard à droite: le 40, rue de Richelieu! Bon Dieu! C'est la maison où habitait Molière au moment de sa mort.

Le lendemain, je chercherais la stèle de Molière au Père Lachaise. Et l'hiver suivant, on donnerait LE MISANTHROPE à l'Université du Québec à Chicoutimi. J'y assisterais. Le metteur en scène serait Rodrigue Villeneuve... avec qui j'avais joué au Séminaire, dans POURCEAUGNAC!

Voilà Gibus et McPhee. Voilà ce qui m'a "trotté" dans la tête pendant que j'écoutais MOLIERE cet après-midi.

Delhorno

mercredi 25 juin 2008

LENDEMAIN DE SAINT-JEAN-BAPTISTE

Je suis né un 24 juin, vers 15heures. La parade de la St-Jean passait devant notre logement quand je naquis. Ma mère avait 21 ans. Elle voulait m'appeler Claude, alors que mon père avait choisi Jean-Baptiste! Ils firent un compromis: je m'appellerais Jean-Claude.
Prénom dont la survie -quand on a connu Lucile- était loin d'être assurée et qui, effectivement, ne dura pas très longtemps... Quand, à six ans, j'allai m'inscrire à l'école primaire, ma mère me tira à part:
-Désormais, tu t'appelles "Claude", pas "Jean-Claude", me comprends-tu bien?

Oui, maman, je t'ai bien compris, pour la vie!

On - grand'maman, maman, papa, mes oncles et tantes- m'avait toujours certifié que j'ai vu le jour un 24 juin.

Plusieurs années plus tard, quand je dus obtenir du baptistère, original et copies de l'extrait de baptême, je lus avec dépit qu'il y était inscrit "né le 23 juin 1944". Je n'oublierai jamais le visage outré de maman quand elle s'aperçut de cette bourde énormissime. On avait recopié le registre des baptêmes à l'église St-Edouard dans la décade qui suivit ma naissance; plusieurs erreurs en avaient résulté. Un de mes amis d'école, Marius, s'appelait "Marie-Luce" sur le registre paroissial: il ne l'a jamais digéré.
QUIPROQUO. Voilà le mot qui me vient à l'esprit. A peu près jamais employé par la nouvelle génération, qui ne sait à peu près rien du latin.

Ces quiproquos du début de mon existence ont fait dire à mon fils aîné avant-hier:
-Je salue en toi un imposteur de premier ordre, d'autant plus que personne de ton entourage ne te connaisse comme tel. Tu dis t'appeler Claude, alors que ton véritable prénom est Jean-Claude; tu prétends avoir vu le jour un 24 juin, alors que tu es né un 23 juin.

Mes plus beaux 24 juin?
Ceux de ma jeunesse. Quand Mutt, en bonne santé, nous emmenait pêcher au pays de Menaud, avec de la "liqueur", des "sandwiches au creton" et des "millefeuilles".
Celui de 2003, que j'ai passé sur les bords de la Seine, à Paris. Ma fille venait me retrouver le lendemain.
Celui d'avant-hier, alors que j'ai reçu du pays du "chiac" un cadeau inattendu: les DVD de la BBC, "Planet earth".
Celui d'hier, parce que mon mon frérot m'a appellé de Biarritz:
-Entends-tu cette musique, Claudio?
-Mal!
-C'est PETITE FLEUR, joué par un orchestre de bonhommes comme toi!

Celui d'hier encore, parce que ma belle-soeur a eu la délicatesse de me concocter un courriel où il est écrit:
LA VIEILLESSE ARRIVE BRUSQUEMENT, COMME LA NEIGE.
UN MATIN AU REVEIL, ON S'APERCOIT QUE TOUT EST BLANC.
Jules Renard

Ces années-ci, on a politisé le jour de ma fête. J'en suis presque venu à détester le 24 juin... Non! Ne t'inquiète pas Gibus, ne t'inquiète pas McPherson, je n'aborderai pas ce chapitre.

Delhorno

vendredi 20 juin 2008

LE NID DE L'AIGLE

Pardonnez-moi, chers Gibus et McPherson, de revenir sur ce sujet.
"Le Nid de l'Aigle". Ce n'est pas la traduction littérale du mot allemand "Kehlsteinhaus". C'est le nom qui a été donné par l'ambassadeur (ou consul...) français en Allemagne. Pourquoi et comment? Je l'ignore totalement. Les Nazis y emmenaient les diplomates étrangers jusqu'en mil neuf cent trente-neuf. Question d'impressionner, nous a-t-on dit.

On peut y aller soi-même en auto, ou en autobus, si l'on veut. C'est tout près de Salzbourg. Tous cependant doivent arrêter au pied de la montagne. Là, des autobus spécialisés emmènent les visiteurs devant un tunnel. La route qui grimpe jusqu'à ce tunnel est une merveille du génie civil: la paroi frise la verticale, le spectacle qui s'offre à la vue est métaphysique, la forêt, ces grandes épinettes qui s'élancent vers l'azur comme des clochers de cathédrale, est époustouflante. Il faut marcher plus de soixante mètres dans ce tunnel humide avant d'arriver à l'ascenseur qui nous emmène au sommet. Nous sortons du chalet et... c'est l'extase. Je n'en dirai pas plus. Il faut voir vous-mêmes.

Nous avions une guide, dont j'ai oublié le nom et que je trouvai "jovialiste", c'est-à-dire d'une sorte de bonhomie bienheureuse ne cadrant pas avec l'objet de la visite. Je sais qu'on s'habitue à tout. Je n'ai jamais vu un croque-mort pleurer aux enterrements... Je ne lui aurais pas demandé un comportement macabre, pourtant. Peut-être aussi fûmes-nous fautifs, ma compagne Septembre Noir et moi-même. Peut-être en savions-nous trop sur "La Solution Finale"...

Notre groupe? Six ou sept personnes. Trois américains d'Omaha, fort peu impressionnants. Faut-il, Gibus, demander à trois honnêtes touristes du Nebraska "d'impressionner"? Question irrésolue. Mais aussi cette jeune femme aux cheveux noir-corbeau, frisés, le teint plutôt foncé, mince. Elle semblait en connaître beaucoup sur la Deuxième Guerre, presque autant que Septembre Noir. Elle parlait bien l'anglais, mais elle parlait aussi une autre langue, qui ne nous était pas familière, aux deux amis qui l'accompagnaient. En fait, ses connaissances étaient à ce point étonnantes que Septembre Noir ne put s'empêcher de l'interroger:
-Madam, few women know as much as you do about Second World War! Did you major in this field? Any special studies on the matter?
-Not particularly... Maybe because I am Jew...

Nous restâmes interloqués, Septembre Noir et moi, Delhorno.

Elle nous avoua un peu plus tard vivre fort mal cette visite. Mais il fallait qu'elle la fît. Nous ne creusâmes pas davantage l'interview. Par déférence. Par respect. Par pudeur aussi. Voilà. Nous redescendîmes muets du Nid de l'Aigle. Les nuages n'évacuèrent le ciel de Salzbourg qu'en fin d'après-midi, comme s'ils avaient voulu, eux aussi, respecter notre malaise.

Delhorno

jeudi 19 juin 2008

QU'AURAIS-JE FAIT?

J'arrive de Munich. Ai visité LE NID DE L'AIGLE et DACHAU. On ne sort pas de ces deux endroits avec le grand sourire... Comment a-t-on pu en arriver là? Comment un si grand peuple a-t-il pu se laisser berner ainsi? Où étaient les opposants? Pourquoi ne parlèrent-ils pas? N'agirent-ils pas? Pourquoi les prêtres se turent-ils? Pourquoi le Pape ne prit-il pas position? Qu'aurais-je moi-même fait?
Facile sans doute de se dire qu'on se serait comporté comme il se doit... On n'a pas grand'occasion dans une vie de se comporter comme il se doit. Je parle ici de grandes occasions. Celles où son action ou sa réaction est susceptible d'influer sur le résultat, sur le cours de la démarche.
Qu'aurais-je fait, qu'aurais-tu fait, toi, Gibus, toi, McPherson?
J'ai eu ma réponse à Dachau. Les national-socialistes suppprimèrent d'une manière ou d'une autre les opposants. Mais encore? Aurais-je eu le courage de m'opposer? Encore eût-il fallu être informé... L'information, à l'époque, n'était pas ce que nous connaissons aujourd'hui. Il devait être beaucoup plus facile d'endosser la chemise brune. Je vous recopie ce paragraphe que j'ai lu en juillet 1999 au Musée de l'Holocauste à Washington:

FIRST THEY CAME FOR THE SOCIALISTS,
AND I DID NOT SPEAK OUT
BECAUSE I WAS NOT A SOCIALIST.
THEN THEY CAME FOR THE TRADE UNIONISTS,
AND I DID NOT SPEAK OUT
BECAUSE I WAS NOT A TRADE UNIONIST.
THEN THEY CAME FOR THE JEWS,
AND I DID NOT SPEAK OUT
BECAUSE I WAS NOT A JEW.
THEN THEY CAME FOR ME,
AND THERE WAS NO ONE LEFT
TO SPEAK FOR ME.

Pastor Martin Niemoller

Delhorno

mercredi 18 juin 2008

RETOUR

J'arrive à peine, mes vieux amis, d'Europe Centrale. Vienne, Melk, Linz, Salzbourg, Inssbruck et Munich. Non, je ne suis pas allé à Bratislava, qui est à 60 kilomètres de Vienne. Encore moins à Prague et à Budapest. Premières impressions, premières réflexions?
1. Les gens sont gentils de façon générale. Aucune maille à partir, avec qui que ce soit.
2. Ce sont des pays propres. L'eau y est potable, les rues sont nettes, rien ne traîne dans les campagnes. Maisons peinturées, enjolivées, édifices publics et palais entretenus.
3. La beauté n'est pas que québécoise... Nous avons des croûtes à manger! Louis le Fou était probablement mégalomane, mais certainement pas si fou que ça. Les empereurs autrichiens ont laissé des merveilles aux générations subséquentes.
4. Munich est une ville riche: ça se voit, ça se sent, ça se paie. Cosmopolite aussi. On y vient vivre de partout dans le monde. Des Saguenéens sont en train d'y vivre et... y sont heureux.
5. Les transports en commun sont mieux développés en Autriche et en Allemagne que chez nous.
6. Ils vouent un culte à Mozart et à Johann Strauss. Ont bien raison!
7. Sissi était une névrosée: le film nous a floués.
8. Le Tyrol me semble l'un des quelques paradis mondiaux et... les Romains y étaient avant nous, avant tout le monde!
9. L'aéroport de Munich vaut dix fois Trudeau...
10. Le NID DE L'AIGLE. En redescendîmes attristés, malgré la beauté du site. En raison de la connotation qui y est associée.
11. DACHAU. Endroit où l'on parle bas. Car la mort y rôde. Mémorial du malheur. On en sort déprimé.
12. ABBAYE DE MELK. Comme dit le Routard, les moines ont toujours eu le talent de se bien situer. C'est encore le cas ici. L'ouvrage surplombe le Danube à l'arrivée de la rivière Melk dans celui-ci. On y a tourné LE NOM DE LA ROSE d'Umberto Eco. J'en ai été fort impressionné.
A plus tard!
Delhorno

mardi 22 avril 2008

LE PAYS DE RAMSES II

J'y fus, du 22 février au 6 mars de cette année. Pas si facile que ça d'écrire des impressions de voyage à la suite de Pierre Loti, d'Hérodote et de Jean d'Ormesson. Au retour, escale à Charles-de-Gaulle, le vendredi 6 mars. Feuilletant Le Figaro, un vieil ami, je note tout de suite la relation de voyage de Jean d'Ormesson, qui vient tout juste d'amener au pays de Ramsès II sa petite- fille. Je dévore l'article, il va sans dire, et replie le journal, désabusé, désillusionné. L'académicien avait tout dit, je n'aurais rien à écrire.


J'ai donc laissé mijoter... Tout a son histoire. Laisse-moi, Gibus, te raconter celle-ci.


Quelque part dans les années cinquante. "Les cigares du Pharaon". Tintin. Premiers souvenirs égyptiens. Les momies, les tombeaux, les pyramides.


1957-58. Elements latins. Collège St-Edouard. Port-Alfred. Le frère Raymond nous initie à l'Histoire. Premier chapitre. Les premières civilisations connues. L'Egypte, le dieu Râ, Ramsès, Tout-Ank-Amon, Kheops, Kefren, Mykerinos. Mots que je n'oublierai jamais, grâce à cette merveilleuse mémoire qui m'est venue avec la vie.

Petit Séminaire de Chicoutimi. Années soixante. On nous initie au grec ancien. Mes vieux amis, Socrate, Platon et Aristote, que j'ai négligés depuis, en passant. Mais aussi Hérodote, l'historien qui a visité l'Egypte et l'a décrite de ces quelques mots qui franchiront vingt siècles: "L'Egypte est un don du Nil".
Un sous-sol, rue Marguerite-Tellier, Chicoutimi, vers 1983. Un petit garçon qui doit remettre un travail sur l'Egypte, un dimanche soir. Nous nous attablons. Je retrouve le vieux manuel d'Histoire de 1958. Nous y plagions tout ce qui peut impressionner son professeur. Je me revois vingt-cinq ans plus tôt, dans la classe du frère Raymond.
Quelque part entre 2006 et 2007. Le même petit garçon, devenu trentenaire. Nous devisons...

-J'aimerais t'emmener en voyage quelque part, quand le moment propice sera venu. Où aimerais-tu aller?
-En Egypte!
C'est ainsi que nous atterrîmes au Caire le samedi 23 février 2008, lui et moi.

Le Caire? Une mégapole. Surchargée. Polluée. Trop d'automobiles. Le Musé National du Caire? Incontournable. Mais ... les Egyptiens devraient le mettre au goût du jour, installer des ordinateurs, des écrans, des écrits dans plusieurs langues. Le Nil au Caire? Féérique.

Les Egyptiens? Barrière de la langue. Ne les connaissons qu'à grands traits, à travers les commentaires épars des guides. Les Egyptiennes? De grandes inconnues.

Mon sommaire? Les Grandes Pyramides, Assouan, Louxor, Abou Simbel, les felouques, le Nil, l'aphorisme d'Hérodote: "L'Egypte est un don du Nil."
Ne pas aller dans le désert égyptien: y sommes allés trois jours, à travers 1500 kilomètres de minivan. Ca ne vaut pas le détour, à mon avis.
Aller à Assouan et Abou Simbel en avion. C'est trop long en auto et en train. Perte de temps pour peu d'intérêt durant le voyage.
Tout est souvent question d'argent... Je ne retournerais pas au Caire, sauf pour faire plaisir à quelqu'un. Mais je retournerais à Assouan, à l'Hôtel OLD CATARACT, qui fut l'hôtel d'Agatha Christie...
Delhorno

dimanche 20 avril 2008

SAUCETTE BAIERIVERAINE

Je le sais, "saucette" ne se trouve pas dans le Petit Larousse! Pourtant, le mot est plein de saveur... Une "saucette" chez quelqu'un, c'est un court séjour. Régionalisme. A classer dans le même chapitre que l'accent. Je me suis donc permis une saucette baieriveraine cet après-midi, histoire de me remettre les deux pieds bien à terre, à l'endroit où ils foulèrent le sol pour la première fois en juin mil neuf cent quarante-quatre.

Car, j'ai été baieriverain... Le suis-je encore? Je me sens de plus en plus étranger à Bagotville, Port-Alfred et Grande-Baie. Parenté émigrée un peu partout. Ne reste que le cousin Gaston. Deux amis, oui, mais nous pourrions tout aussi bien être amis ailleurs... Une vieille tante que je tente d'oublier, deux ou trois cousins obscurs que jamais je n'ai revus...

Reste que je me suis senti étranger aujourd'hui au pays de mes parents, de mes frères et soeur, de mes amis. Sans trop savoir pourquoi. Est-ce moi qui ai changé, ou est-ce Port-Alfred?

Car le "Moulin", coeur de ma ville, est disparu, complètement, totalement. Démoli, démantelé. Même le "quai de la Consol" a été défait. Qui aurait pu croire ça? Nous pensions que c'était éternel! J'y revois encore les goélettes chargées de pitounes à ras bord, les bateaux de fer qui arrivaient d'Anticosti, le "baume" et les milliers de billes d'épinette qu'il emprisonnait. Je n'ose parler du reste: le monte-pitoune, les deux tas de bûches, le "Time Office", les machines à papier, la balance. Gibus, McPhee, le moulin de la Consol, au temps de mon père et de mes oncles, du temps de ma jeunesse, c'était du solide, comme le roc de Gibraltar.

Mon père y gagna mieux sa vie que mon grand'père gérant de banque. Il s'y fabriquait du "newsprint", que les gars du moulin exportaient à Miami "Miami Herald", New York "Times", Chicago, Détroit. Nos gars se gargarisaient du meilleur papier à journal au monde!
J'ai moi-même travaillé au "Time Office", aux "Ecorceurs", aux "Taches"; j'ai vu mon père et mon beau-père, le premier aux "Machines", le second sur la "Balance", suer leur "shift" sans jamais rechigner. Mon oncle Raoul travaillait sur la "Couleur" et mon oncle Fernand au "Magasin". Tous décédés. S'ils savent ce que j'ai vu cet après-midi, ils ne doivent pas le croire.

Suis allé ensuite revisiter la maison paternelle, Cinquième Avenue. Les érables du fond de cour ont tant vieilli! Je ne les oublierai jamais: car je les ai plantés avec mon père. Nous les avions volés sur la terre d'un simili-cultivateur de St-Félix... Ont à peu près cinquante ans maintenant. La ruelle existe encore, mais sans vie et sans avenir. La municipalité s'est débarassée des ruelles, il y a quelques années. Servent maintenant de stationnements pour les autos des propriétaires. Pour nous, c'était l'un de nos nombreux terrains de jeux. Oublie-t-on jamais les terrains de jeux de son enfance?

La maison du grand'père François a dû être vendue, car la longue galerie est maintenant bordée d'une clôture à barreaux qui ne cadre pas du tout avec l'architecture du lieu. L'ancêtre a dû tempêter... Il détestait son voisin à l'Isle-aux-Couldres et avait bâti sa maison de telle sorte qu'elle montrait son derrière au dit voisin.
J'en avais assez vu... Volontairement, j'ai reporté ma visite aux deux cimetières, de crainte...
Il me faudra désomais vivre de souvenirs, le moulin démantelé, les maisons ancestrales dénaturées, ma parenté disparue.

En moins de deux générations tout un monde s'est effondré. Réflexion sur le sens des mots éphémère et pérenne...

Je pense maintenant savoir pourquoi je ne me sens plus baieriverain.

Delhorno

samedi 22 mars 2008

OU M'ENTERRERONT-ILS?

Je n'aurais jamais crû devoir disserter sur ce point. L'affaire est devenue contentieux ce soir au souper. J'avais imaginé que, le moment venu, j'acquérerais au cimetière de mon choix le plus beau terrain disponible, que j'y ferais ériger une stèle d'inspiration romaine ou hellène en tenant compte de l'argent disponible et que finalement nous n'en reparlerions qu'au moment propice, c'est-à-dire celui où il serait trop tard pour que je puisse opiner... Je voyais les dépouilles de ma femme et de mes trois enfants s'empiler sur la mienne et perpétuer dans l'au-delà le "fardeau" qu'ils avaient été durant mon existence terrestre. Je n'avais évidemment pas tenu compte de mon gendre, ni de deux hypothétiques brus: ces étrangers, dans mon esprit, n'avaient pas voix au chapitre. Eh bien! Je devrai déchanter.

Encore une fois, j'ai été devancé par ma femme! Elle avait entamé le sujet avec sa soeur. Celle-ci, pour avoir épousé un anglophone ontarien, n'avait pas imaginé d'autre issue pour survivre dans l'au-delà que celle de reposer dans un minuscule cimetière de Codrington, c'est-à-dire au beau milieu de nulle part. Ma femme s'est vite insurgée contre une telle entreprise:
-Ta place est à mes côtés, avec Louis-Jos. et Rose-Ida, au cimetière de St-Alphonse!

Ma belle-soeur n'avait certainement pas prévu une telle opposition: il lui faudrait choisir entre son fils et son mari et sa petite soeur... Ses héritiers oseraient-ils une translation interprovinciale? Et William, accepterait-il de survivre seul à Codrington pour l'éternité? Car, une éternité, c'est long! La belle-soeur n'est pas la dernière venue... Elle annonça à sa cadette, il y a quelques jours, qu'elle avait concocté une solution susceptible de plaire à tout le monde:
-J'ai l'intention d'ajouter un codicille à mon testament. J'exigerai qu'on sépare mes cendres en deux portions. L'une des urnes restera à Codrington, l'autre prendra le chemin de St-Alphonse!

Ainsi donc, la belle-soeur acceptait d'être incinérée. Car l'autre option aurait difficilement permis une division en deux parties... Quoiqu'on aurait toujours pu alléguer que chaque cercueil contenait sa juste part...

Rapportant l'incident, ma femme me surprit en opinant fermement:
-En ce qui me concerne, je veux et j'exige qu'on enfouisse mes cendres à St-Alphonse, dans le terrain familial, avec celles de papa et maman. Je refuse obstinément d'aller à St-Edouard, dans le terrain des Delhorno, pour des raisons qui me tiennent à coeur. Je ne passerai pas l'éternité en compagnie d'étrangers!

Ma fille s'en trouva figée quelques instants. Ceci impliquerait des dérangements... Si la défunte décède à Montréal, il faudra faire l'aller-retour au Saguenay. Tout aurait été tellement plus simple si la future défunte avait accepté comme tout le monde d'être enterrée à Montréal, sur la montagne ou ailleurs. Mais ceci, elle eut la délicatesse de ne pas l'exprimer, ni vertement, ni ouvertement! Elle rétorqua simplement:
-Mais qu'allons-nous faire de papa, ton mari?
-Il viendra avec moi, à St-Alphonse!

C'en était fait de mes droits sur l'au-delà... Doutant de survivre à ma femme et mes enfants, j'ai vu s'écrouler mon rêve le plus porteur, celui de me prélasser à perpétuité dans ce nouveau cimetière qu'on a construit à la Baie, au bout du rang St-Jean. Je connais bien l'endroit pour y avoir fait du vélo une partie de ma jeunesse. La route a changé maintenant... Elle tourne vers le sud, vers Ferland et Boilleau, vers le pays de Menaud, vers la rivière Malbaie et le ruisseau du Cran Rouge. Qui sait? J'aurais peut-être pu, un soir de grandes ténèbres, enfourcher un vélocipède satanique et pédaler hors-la-loi entre les étoiles vers le "grand R'mous" de la rivière Malbaie, histoire d'y rencontrer Mutt ou le cousin Gaston... Ce sera certainement beaucoup moins drôle sur les hauteurs de St-Alphonse, où il n'a jamais fait beau et où il vente constamment. Sans compter que ma femme sera toujours là, à mes côtés, à grelotter et à me surveiller!

IL SUFFIT DE MOURIR POUR PERDRE LE CONTROLE DE SA DESTINEE...

Delhorno