mercredi 6 février 2008

ALBERIC

Comment peut-on s'appeler Alberic? Ce prénom nous faisait rire. Nous avions coutume de dire que son père, quand il se présenta au baptême de son fils, ayant dépassé sa dose confortable de gin, avait répondu au prêtre qui s'enquérait des prénoms de son fils:
-Albert-Hic!
Et cela nous faisait rire encore plus!

Il était quand même le meilleur ami de mon père. Avaient fait leur "jeunesse" ensemble. Albéric voyait la vie à travers des sourires et des éclats de rire, alors que mon paternel était plutôt ténébreux. Albéric avait commencé camionneur, puis était devenu propriétaire de machinerie lourde, puis, quelque temps, vendeur de véhicules Ford, finalement constructeur de routes. La vie fut généreuse pour lui jusqu'à ce dernier contrat... On ne sait exactement ce qui se passa. Il semble qu'Albéric et son fils Pierre -surtout celui-ci- oublièrent certains devis lors de la construction de la route des battures de Grand-Baie. Ingénieurs du gouvernement en beau maudit... Dépassement de coûts qui mena directement à la faillite de l'entreprise père et fils. N'avaient pas de filet de sécurité... Perdirent leur maison... L'ami de mon père fut alors atteint d'un accident vasculaire cérébral qui le laissa fort diminué: il finit ses jours hospitalisé, alité. Bien-être social... L'épouse, amie de ma mère, dut faire des mégages pour survivre. Amante de la dive bouteille... Négligea cette grosseur qui en bout de ligne grugea toute sa glande mammaire gauche... Je sais qu'elle est décédée.

Triste histoire... Pourtant, le plus beau souvenir que j'aie conservé d'Albéric, c'est celui d'un dimanche matin d'été. Il avait acheté un cheval, qu'il avait mis en pension chez un parent, cultivateur du rang St-Louis. Il nous avait invités ce dimanche matin, mon père, mon frère et moi. Pierre et Alain, les fils d'Albéric, étaient là aussi. Nous irions "essayer" le cheval!

Nous voici donc derrière la ferme. Le cheval n'est pas là! "Pégase est au vert", comme avait dit cent ans plus tôt Victor Hugo, au bout du trécarré. Il faut monter une forte colline pour accéder à ce paradis... Nous voilà donc partis. Quand on a huit, dix, onze ans, les distances nous semblent toujours plus longues qu'en réalité elles ne le sont. Surtout que nous avions hâte d'essayer le cheval. Nous arrivons finalement. La bête est magnifique! Albéric, qui est un néophyte, réussit à lui passer le licoul. Nous redescendons à la ferme où lselle et harnais nous attendent.

Tout s'est passé très vite. Moment d'inattention, inexpérience du néo-palefrenier, surpopulation du lieu? Toujours est-il que rendu en bas le cheval poussa un hennissement, fit un virage de cent quatre-vingts degrés et repartit au galop vers le trécarré, piaffant et hennissant. C'en était fait de notre leçon d'équitation, car il fallait retourner dîner à la maison.

Tout ce qu'Albéric trouva à dire fut:
-Maudit qu'y court ben!
Déclenchant ainsi l'hilarité de tout le monde, des gamins que nous étions.

Mon père -le ténébreux-ne put réprimer un sourire...

Delhorno

Aucun commentaire: