mercredi 20 février 2008

LE PERE LACHAISE

Il fut l'un des confesseurs de Louis XIV. J'ignore complètement comment il survint qu'on donnât son nom à un cimetière...

Paris. Juillet 2004. J'avais eu comme projet de visiter le fameux cimetière un jour. Je le connaissais depuis le temps du Séminaire, par les auteurs français qu'on nous enseignait. Je m'étais dit que je retrouverais les stèles funéraires de Molière et La Fontaine, que j'y lèverais mon chapeau tout en me remémorant les Diafoirus père et fils ainsi que La Cigale et la Fourmi.

Un début d'après-midi. Soleil de plomb sur Paris. Je dîne chez l'Italien qui tient pignon sur rue tout près de ma garçonnière. J'ai bien étudié la carte. Il est facile de marcher vers l'est, vers le boulevard Ménilmontant. Ménilmontant. Un autre nom qui s'est incrusté dans ma mémoire, depuis un article du Paris Match sur Trenet et son amour de Ménilmontant, qu'il a célébré par une chanson. Encore là, je m'étais dit que je saurais un jour de quoi il en retourne.

Me voilà parti, avec mon sac à dos, une bouteille d'eau. Les rues de Paris sont parsemées de plaques-souvenir: beaucoup rappellent la mort tragique et sanglante de résistants durant la Deuxième Grande Guerre. En voilà une. Je marche tout doucement, histoire de profiter de l'instant. Ah! Le voici!

J'arrivai au Père Lachaise du côté nord, alors que l'entrée était située plus au sud. J'arpentai donc le boulevard Ménilmontant du nord au sud en jetant un perpétuel regard sur les inscriptions des monuments. Quelques Dufour, imaginez-vous, dont un ou deux décédés à Verdun, à Vimy ou tout près...

Ouf! Voici l'entrée! On m'offre un plan du cimetière. Facile. Je retrouverai aisément mes deux célébrités. Erreur! Après une heure de marche, toujours pas de Molière, pas de trace du Fabuliste. Je désespère un peu... Il y a ce couple qui s'avance vers mois et que j'interpelle:
-Monsieur, sauriez-vous me dire où sont les tombeaux de Molière et La Fontaine. Je suis venu du nord du Québec pour les visiter et j'attends cet instant depuis plus de quarante ans.
-Vous savez, Monsieur le Québecois, -les Français, nous reconnaissent tout de suite à notre accent- que ce ne sont pas leurs cendres, leur vrai squelette qui reposent sous les monuments. Car, à leur décès, ils furent enterrés dans une fosse commune. La Ville de Paris, voulant leur rendre hommage cent et quelques années plus tard, transporta des os anonymes, pour ne pas dire quelconques de cette fosse commune au cimetière du Père Lachaise, où on leur érigea un monument.
-Ne me dites pas ça! Vous êtes en train de briser mon rêve!
-J'en suis désolé, croyez-moi!

Mon Francais poursuivit son chemin... Mais le voilà qui fait demi-tour et me réadresse la parole:
-Vous savez, je ne me rappelle plus qui a dit ça: QU'IMPORTE LA VERITE SI L'HISTOIRE EST BELLE. Bonne continuation!

J'esquissai un sourire, qui ne me lâcha plus pendant plusieurs minutes. Mon après-midi était sauvé! Par quelques mots bien dits et bien sentis. Je n'avais besoin que de croire à une belle histoire! Je racontai l'anecdote à mes intimes au retour: ils esquissèrent le même sourire.

En fait, au moment de cette rencontre impromptue, j'étais arrivé tout près des monuments de mes vieux amis. Je les saluai comme il fallait. Plus loin, je retrouvai la stèle de Champollion, l'initiateur de l'Egyptologie, celle de Gay-Lussac, l'homme de science, celles des maréchaux de Napoléon, que je revois encore comme si c'était hier.

Fatigué, en fin de compte. Je mis fin à mon excursion. Le retour vers le Marais fut malaisé sous la canicule. J'arrêtai un moment pour acheter un sac de "cerises de France"... Et je me dépêchai de colliger les faits saillants de l'après-midi dans mon Moleskine pour "usage ultérieur".

Méfie-toi, lecteur, de ce que je viens d'écrire. Car, QU'IMPORTE LA VERITE SI L'HISTOIRE EST BELLE!

Delhorno

mardi 19 février 2008

MUTT

C'était son sobriquet. J'ignore pourquoi ses frères et soeurs l'avaient ainsi surnommé. On a déjà fait allusion au fait que son "caractère" -entendre son humeur du moment- n'était pas toujours au beau fixe. Lui-même ne m'en a jamais parlé.

Parmi mes premiers souvenirs de Mutt, il y a celui-ci, qui remonte à l'été 1953. Il m'avait emmené pêcher sur les bords de la rivière Malbaie. Je n'avais pas dix ans. Je l'avais tant "tourmenté" pour qu'il m'emmène avec lui. Je le suivais religieusement, presque intimidé. J'avais ma besace, toute petite, ainsi que ma propre canne à pêche. Il s'était occupé de tout. Nous garâmes l'auto près du "Deuxième Pont". Un CocaCola pour lui et un pour moi. Les sandwiches aux cretons avec moutarde préparés par sa femme. Nous voilà partis en direction du "Troisième Pont", sur la rive gauche de la rivière. Au bas d'une côte que j'avais trouvée énormément énorme, il me montra ce ruisseau, du Cran Rouge, que je n'ai jamais oublié, et que je n'oublierais jamais. Nous le traversâmes sur un petit pont fabriqué de billes d'épinettes. Ce fut ensuite ce sentier dans le flanc de la montagne, au beau soleil, à travers les framboisiers sauvages et les coudriers. Je pensais simplement qu'il fallait marcher très longtemps pour enfin pêcher...

Le "Troisième Pont" aurait pu tout aussi bien s'appeler "d'Avignon", car il n'en restait qu'un squelette.
-Pourquoi ne le réparent-ils pas? me demandai-je?

-Jette ta ligne ici! me cria Mutt, qui était déjà en train de taquiner l'onde un peu plus loin. Car Mutt était toujours le premier à jeter sa ligne: ça, je l'apprendrais au cours des étés suivants.
Tout à coup, ma ligne se tendit et ça se mit à frétiller là-bas, dans le fond de l'eau.
-Ca mord! me dit Mutt, me sortant de ma torpeur,
-Donne un coup sec pour la ferrer comme il faut, puis lève ta canne doucement!
Ce que fis exactement. J'entendis alors ce rire sonore -de quelqu'un qui ne riait pas souvent.
-C'est un coup de deux!
C'était bien vrai. Ma première truite, c'en fut deux, petites et bien en vie, prises dans la rivière Malbaie, sous l'oeil bienveillant de celui que j'admirais le plus au monde: Mutt.

La journée se poursuivit tout ainsi, un peu de marche, essai d'un"remous", nouvelle marche. Mutt parlait peu. Quelques années plus tard, j'apprendrais le mot "laconique", "qui économise les mots". Ainsi était Mutt. Nous revînmes au Deuxième Pont sous le soleil de fin d'après-midi -j'aurais préféré écrire "sous le soleil de la tarde", mais, bon! J'ai conservé dans ma tête ces images de mon retour sur les bords de la rivière Malbaie en compagnie de Mutt, qui marchait le premier, sans dire un mot; j'étais fatigué, mais je ne me serais plaint pour tout l'or du monde. Nous arrivâmes finalement à l'auto. Je fis remarquer à Mutt que nous n'avions pas lunché. Nous nous assîmes donc sur le rebord du coffre arrière. Nous enfilâmes prestement sandwiches, CocaCola et millefeuilles: ce devait être le lunch classique de nos excursions de pêche, mais ça, je l'ignorais encore. Puis, nous nous mîmes en frais de "dégréyer". Dieu du Ciel! Il me manquait le petit bout de la canne à pêche! Je l'avais perdu au retour, dans le sentier touffu à flanc de montagne. Insouciance de l'enfance... C'était une belle perche en bambou laqué, la première que Mutt s'était acheté avec son propre argent. Quel imbécile j'avais été! Je m'attendais à une remontrance de fort calibre. C'est tout le contraire qui se produisit. Mutt simplement commenta:
-C'est pas grave. Viens, allons-nous-en!

J'ai complètement oublié le chemin du retour, celui qui serpente entre les deux lacs Ha!Ha! et le long de la rivière du même nom. Car je m'étais endormi à côté de Mutt.

Mutt, c'était Roland, mon père, ma première idole. Il ne parla jamais beaucoup. A peine riait-il quelques fois par an. Mais un jour, il me parlerait au moment opportun, un instant qui changerait ma vie. Mais ceci est une autre histoire.

Delhorno

dimanche 17 février 2008

LES TASSEUX

Le sport est maintenant révolu. RDS n'en parle jamais. Les jeunes n'y jouent plus. Même les filles n'y jouent pas. Pourtant...
J'ai connu un temps où le ballon-balai florissait! Il y avait le hockey, oui, mais le Québec profond -sauf Montréal, peut-être- jouait au ballon-balai. Il y avait des ligues, des championnats. Le Carnaval de Québec organisait même un tournoi fort couru. Le ballon-balai, c'était un analogue du hockey: le ballon remplaçait la rondelle, le balai faisait office de gouret, les buts étaient les mêmes que ceux du hockey, on jouait sur les patinoires quand il n'y avait pas de hockey, les patins étaient remplacés par des pichous ou des espadrilles avec ventouses aux semelles, ce qui en améliorait la traction.
Moi, c'est le ballon-balai extérieur que j'ai vraiment goûté. Sur le campus de l'Université Laval. Il y avait une "grosse" ligue intramurale. Y participaient tous ceux qui résidaient sur le campus, c'est-à-dire ceux du Québec profond. Equipes de Trois-Rivières, de Shawinigan, du Bas-du-Fleuve, de la Gaspésie, de la Côte-Nord, du lac St-Jean et... du Saguenay. L'équipe saguenéenne s'appelait "Les Tasseux", vocable qui pouvait avoir deux sens, deux connotations. Le mentor et constructeur de l'équipe, c'était Gilles Tremblay, de Bagotville. Il fut l'instigateur de notre équipée. Dieu que je garde de beaux souvenirs de cette époque!
Les Tasseux gagnèrent le championnat de ballon-balai trois années de suite! J'étais dans cette équipe! Nous jouions un ou deux soirs par semaine. Les parties duraient environ une heure. Nous étions jeunes... Il faisait froid et il n'en paraissait rien.
Que de leçons de ballon-balai avons-nous données à des néophytes, à des équipes sorties de nulle part! Nous pouvions jouer la finesse, la rapidité ou la rudesse. Nous avions des spécialistes de tous acabits.
Un de mes plus beaux souvenirs, c'est celui d'avoir joué avec mon frère Marcel. Celui-ci avait été un fameux joueur de hockey et un fameux passeur! Il était mon centre au ballon-balai: j'avais l'impression de jouer en compagnie de mon alter ego. Nous savions toujours tous deux où l'autre était.
J'ai conservé dans le fond d'un tiroir deux écussons "old-fashioned" qui témoignent de l'épopée des Tasseux. Je me dis que je devrais les coudre sur un blouson d'hiver... Y a-t-il tant de sexgénaires qui se promènent sur les rues avec leurs écussons cousus sur leurs paletots? Je n'ai pas encore mis mon projet à exécution.

Delhorno

samedi 16 février 2008

OCCASION RATEE, PARTIE REMISE

Je devais aller dans l'arrière-pays de Saint-Ambroise ce matin. Passer une partie de mon samedi avec Marc Boucher, sur ses terres, dans sa forêt domaniale. Marc a une passion, depuis sa tendre enfance: les chevaux. Pas n'importe lesquels chevaux! Les chevaux canadiens. Qui sont-ils?

Ils sont arrivés au début de la colonie, cadeau de Louis XIV, pigés dans ses écuries. Au fil des générations, environnement aidant, ces chevaux en sont venus à former une race, une lignée distincte. J'ignorais tout ça -de même que l'existence d'une "vache canadienne" - jusqu'à ce que je me mette à regarder La Semaine Verte à Radio-Canada. Le cheval était en voie d'extinction jusqu'à récemment, depuis l'arrivée du "cheval-vapeur" et du "cheval-moteur"! La race doit son salut à ces passionnés qui l'ont aimée, l'ont nourrie et l'ont fait se reproduire. La situation serait moins précaire présentement. Le cheval canadien a été exporté aux Etats-»Unis et dans l'Ouest canadien, ce qui serait un gage de sa survie.

Marc Boucher fut mon patient, d'abord. C'est ainsi que je découvris son secret, q'il tenait d'un vieil oncle qui en avait été dévoré! Je l'allai visiter à sa ferme, il y aura bientôt deux ans. Accompagné de Bill Woof, mon beau-frère agriculteur, qui, ironie du sort, m'a avoué ne pas aimer les chevaux! Matin de septembre où il ne faisait pas très beau. Ciel gris. A peine débarqués de la Mercedes, nous apercevons trois belles taches noires qui s'avancent vers nous, pas du tout intimidés, presque chaleureux. Coup de foudre en ce qui me concerne. La mère et son fils. Une tante. Beaux grands yeux noirs. Je pense qu'ils m'ont souri!

Marc nous raconta sa petite histoire. Sa passion. L'hiver, il fait travailler les chevaux dans les bois: ils sortent les billes sur des traîneaux d'une autre époque. Le cheval canadien serait doux, vaillant, paisible. On ne l'énerve pas facilement. En passant, le détachement équestre de la Police de Montréal a choisi des chevaux de race canadienne pour constituer son effectif équin. Ils se disent très satisfaits.

C'est donc ce que je devais faire aujourd'hui: aller voir travailler la petite jument canadienne de Marc Boucher. Hélas! Il a tellement neigé que les chemins de son lot sont impraticables. Le cheval enfonce jusqu'au poitrail et n'arrive pas à tirer le chargement. Il me faudra donc me reprendre.

Je dois vous avouer, chers Gibus et McPherson, mon respect énormissime pour ces passionnés de la vie qui consacrent presque toute une existence à sauvegarder quelque chose: une race de chevaux, une espèce de vaches laitières, une sous-espèce de poules et de coqs. Parlant de ces derniers, je dois vous dire que l'industrialisation de la production d'oeufs est en train d'induire une éradication de certaines races de poules et de coqs qui, moins productives, ne présentent ainsi plus d'intérêt économique.

Delhorno

mardi 12 février 2008

SAUCE A SPAGHETTI

Le spaghetti italien nous est arrivé au Saguenay entre 1955 et 1960. Je me demande encore comment les saguenéens ont fait pour vivre avant son arrivée... Auparavant, il ne se mangeait que du spaghetti avec sauce tomate chez nous. Une de nos connaissances disait "spagnetti" plutôt que "spaghetti"; je passerai sous silence bon nombre de "demeurés" qui disaient, eux, "spékati"... J'ignore toujours encore pourquoi certains ne prononcent jamais les mots comme il faut. Il y a ceux qui disent "ol-doille" plutôt que "hot dog", ceux qui parlent de "hambégueurs" au lieu de "hamburgers", ceux qui mangent de la "tourquiére" tous les dimanches et les "ceusses" qui mangent du "steak de jobber": le baloney (saucisson de Bologne). N'oublions pas les mangeux de "pétaques"!

Ce fut une commotion! Nos mères se passaient les recettes de sauce à spaghetti comme si une révélation était tombée du ciel. Il y avait un âge pour fabriquer la sauce à spaghetti italien. Les grand'mères n'en faisaient point: la recette, exotique, était suspecte. Elles s'en tenaient à leurs bonnes vieilles recettes, celles qu'elles tenaient de leurs mères et de leurs grand'mères: rôti de porc, rosbif, poulet rôti, ragoût de pattes, steak en tranches, fèves au lard, crêpes minces ou épaisses. Le spaghetti italien, ça n'allait pas durer, c'était du toc, de la "bombézite". Surtout, elles n'en mangeaient pas, même si c'était le repas de leurs filles ou de leurs brus.

Ceux qui mangeaient du spaghetti italien avaient moins de 45 ans, je pense. Quinquagénaires et sexagénaires plissaient le nez devant ce plat hérétique. Je me souviens que Roland, mon père, mangeait du steak quand nous savourions le "spag" italien de ma mère.

Car c'était devenu un art que de concocter la sauce bolognaise. Pas trop claire, juste assez de viande, des piments, oui, mais pas trop, et le goût! Ma mère se targuait de faire la meilleure sauce de toute notre parenté... Nous, les "cinq", étions bien d'accord. Que j'ai donc aimé le spaghetti italien de Lulu!

Certaines mères du quartier, certaines de nos tantes même, ajoutaient des carottes, ou du céleri, ou d'autres vilains légumes. Nous méprisions leurs sauces à spaghetti "déviantes" et il n'était pas question d'en manger! Ma mère parlait même d'"hérétiques"! Certaines sauces étaient immangeables. Leurs auteures étaient cataloguées sévèrement: étaient-elles dignes de vivre?

Personne aujourd'hui ne daigne aborder ce sujet: le spaghetti italien. La commotion s'est éteinte... Certaines cuisinières poussent même l'audace jusqu'à acheter de la sauce en conserve! Quelle incurie! Quelle ignominie! Excuse-moi, lecteur, de ne pas élever davantage, ce soir, le niveau intellectuel de mon blogue. C'est que j'adore le spaghetti italien! Surtout selon les préceptes maternels, qui résonnent toujours dans nos têtes. N'allez pas mettre de légumes dans la sauce: ça ne se fait pas, c'est hérétique. Certaines sauces sont identiques à elles-mêmes depuis des dizaines d'années: celle de l'hôpital de Chicoutimi, par exemple. Tout le monde en mange, une fois par semaine, depuis presque cinquante années. Le midi du spaghetti italien, pour certains d'entre nous, c'est un pèlerinage, c'est vénérer...

Le secret est dans la sauce...

Delhorno

mercredi 6 février 2008

TANT DE FAÇONS DE MOURIR

L'année d'avant, elle avait dû se soumettre à un quadruple pontage aortocoronarien. Insuffisance cardiaque dans la période postopératoire immédiate. Ça n'avait pas été facile.

Ce matin d'hiver, elle avait rendez-vous chez sa coiffeuse. Octogénaire. Il n'y a pas d'âge pour soigner son allure... Il avait neigé, il avait plu, le chemin était glacé, la municipalité n'avait encore rien épandu... Arriva ce qui devait arriver. Elle perdit pied, chuta, ne put se relever: on appela une ambulance.

L'urgentologue lui annonça la mauvaise nouvelle: fracture de la hanche gauche, fracture du poignet droit. Elle fut opérée instamment. Tout se passa très bien.

Ce n'est qu'hier soir que j'appris son existence. Madame Doiron. L'orthopédiste m'appela. Je devais la voir urgemment. Elle avait mal au ventre. C'était nouveau. Ce n'était pas un mal de ventre ordinaire. Les lavements avaient été efficaces pourtant. Son ventre était ballonné, douloureux. Je n'en pensai pas grand'chose. Ça ne devait être qu'un gros intestin qui se remettait à fonctionner... La radiographie abdominale ne montrait pas d'anomalies.

Je m'amenai ce matin. Soins intensifs. Intensiviste au chevet. Elle avait fait un infarctus la veille. Oedème pulmonaire: râles sous-crépitants aux bases pulmonaires. J'examinai le ventre qui m'apparut anormal. Malgré deux énormes selles diarrhéiques, le ventre était encore ballonné, douloureux...

Il m'advint subitement que cet intestin, l'hémicolon droit, souffrait d'ischémie, que ceci annonçait un drame... car il n'était pas question de chirurgie abdominale en présence d'un infarctus aigu du myocarde, c'était signer un arrêt de mort. Je consignai mes impressions au dossier. Je parlai d'escompter un décès. L'intensiviste Lintao resta interloqué:
-Hopefully not!
Je ne sus que rétorquer.

C'est ainsi que les hommes meurent. On va chez sa coiffeuse pour avoir l'air "de monde". On n'a pas prévu que la ville n'a pas encore mis du sel sur le chemin glacé. S'ensuit une cascade inexorable: chute, fractures, chirurgie, complications. Ma grand'mère Mary est décédée en marchant à toute vapeur à Bagotville aider sa fille Margot qui allait accoucher. Mon grand'père François est décédé après avoir tiré sa vache: mon père, voyant qu'il avait peine à porter le seau de lait, avait laissé son sac de golf sur le tertre de départ pour lui donner un coup de main. Guillaume, mon autre grand'père, est mort subitement un soir de fête: on célébrait son départ à la retraite!

Tout de suite après la chute de madame Doiron, la municipalité épandit du sel sur le chemin allant au salon de coiffure...

Delhorno

ALBERIC

Comment peut-on s'appeler Alberic? Ce prénom nous faisait rire. Nous avions coutume de dire que son père, quand il se présenta au baptême de son fils, ayant dépassé sa dose confortable de gin, avait répondu au prêtre qui s'enquérait des prénoms de son fils:
-Albert-Hic!
Et cela nous faisait rire encore plus!

Il était quand même le meilleur ami de mon père. Avaient fait leur "jeunesse" ensemble. Albéric voyait la vie à travers des sourires et des éclats de rire, alors que mon paternel était plutôt ténébreux. Albéric avait commencé camionneur, puis était devenu propriétaire de machinerie lourde, puis, quelque temps, vendeur de véhicules Ford, finalement constructeur de routes. La vie fut généreuse pour lui jusqu'à ce dernier contrat... On ne sait exactement ce qui se passa. Il semble qu'Albéric et son fils Pierre -surtout celui-ci- oublièrent certains devis lors de la construction de la route des battures de Grand-Baie. Ingénieurs du gouvernement en beau maudit... Dépassement de coûts qui mena directement à la faillite de l'entreprise père et fils. N'avaient pas de filet de sécurité... Perdirent leur maison... L'ami de mon père fut alors atteint d'un accident vasculaire cérébral qui le laissa fort diminué: il finit ses jours hospitalisé, alité. Bien-être social... L'épouse, amie de ma mère, dut faire des mégages pour survivre. Amante de la dive bouteille... Négligea cette grosseur qui en bout de ligne grugea toute sa glande mammaire gauche... Je sais qu'elle est décédée.

Triste histoire... Pourtant, le plus beau souvenir que j'aie conservé d'Albéric, c'est celui d'un dimanche matin d'été. Il avait acheté un cheval, qu'il avait mis en pension chez un parent, cultivateur du rang St-Louis. Il nous avait invités ce dimanche matin, mon père, mon frère et moi. Pierre et Alain, les fils d'Albéric, étaient là aussi. Nous irions "essayer" le cheval!

Nous voici donc derrière la ferme. Le cheval n'est pas là! "Pégase est au vert", comme avait dit cent ans plus tôt Victor Hugo, au bout du trécarré. Il faut monter une forte colline pour accéder à ce paradis... Nous voilà donc partis. Quand on a huit, dix, onze ans, les distances nous semblent toujours plus longues qu'en réalité elles ne le sont. Surtout que nous avions hâte d'essayer le cheval. Nous arrivons finalement. La bête est magnifique! Albéric, qui est un néophyte, réussit à lui passer le licoul. Nous redescendons à la ferme où lselle et harnais nous attendent.

Tout s'est passé très vite. Moment d'inattention, inexpérience du néo-palefrenier, surpopulation du lieu? Toujours est-il que rendu en bas le cheval poussa un hennissement, fit un virage de cent quatre-vingts degrés et repartit au galop vers le trécarré, piaffant et hennissant. C'en était fait de notre leçon d'équitation, car il fallait retourner dîner à la maison.

Tout ce qu'Albéric trouva à dire fut:
-Maudit qu'y court ben!
Déclenchant ainsi l'hilarité de tout le monde, des gamins que nous étions.

Mon père -le ténébreux-ne put réprimer un sourire...

Delhorno

mardi 5 février 2008

PAUL MEDERIC

C'était son nom de plume: Paul Médéric.

Il était un Tremblay "Médéric", d'où son nom de plume. Natif de Baie Saint-Paul. Il connaissait mes ancêtres, le Cap-aux-Corbeaux, l'histoire de la baie Saint-Paul. Paul origine de son prénom, Jean-Paul Tremblay. Prêtre. Fut mon professeur de philosophie au Séminaire. Ne l'ai jamais oublié. Une autre de mes idoles.

Au début des années soixante, il fondait les "Equipiers de saint Michel" au Séminaire. Ceux qui le suivirent jamais ne l'oublièrent! Chaque fin de juin, il les emmenait en France, à vélo, sur les routes de Normandie et de Bretagne. Ils ne l'oublièrent jamais. L'unique problème, l'abbé Jean-Paul était mauvais comptable et manquait toujours d'argent. L'équipée ne dura point, conséquemment.

Sur les hauteurs du Cap-aux-Corbeaux, il construisit un camp d'été où venaient se ressourcer les équipiers de saint Michel. Encore là, une idée brillante, mais elle ne lui survécut point.

Jean-Paul écrivait. Un des rares professeurs de quelque chose qui écrivît, au Québec, a fortiori au Saguenay. LOISIR ET LOISIRS, c'est de lui. Deux tomes. Il y prophétisait la société dans laquelle nous vivons maintenant: le monde de l'abondance, du plus facile, celui où nous est donné le LOISIR d'avoir des LOISIRS. Car l'OISIVETÉ est à proscrire! Il me demanda -j'étais président de mon conventum- d'écrire la préface du deuxième tome. Il put ainsi la corriger abondamment! Quant à moi, j'en fus quitte pour une bonne dose d'humilité. Mais quelle bonne idée que de faire écrire la préface de son livre par un des ses élèves!

Ce qu'on nous enseignait, à l'époque, durant le cours classique, c'était le THOMISME, la philosophie d'Aristote, des premiers penseurs de l'Eglise, commentée par le "Rocket" de l'Eglise Catholique, saint Thomas d'Aquin. En latin, il va sans dire. L'abbé Jean-Paul ne pouvait évidemment esquiver ce cursus. Ainsi fit-il plus que cela et bien davantage: il "éleva" le niveau de ses "élèves". Car il faut bien savoir qu'un élève est celui qu'on "surélève" à un niveau supérieur. JP nous indiqua, insidieusement, qu'on pensait autrement ailleurs. Il nous fit lire Jean Barois, le roman de Roger Martin du Gard, que je n'oublierai jamais. "Le bonheur réside dans une activité bien faite." Peu de maîtres ont ainsi le don de guider leurs élèves.

Le clou de l'année, ce fut la parution d'un ouvrage collectif, oeuvre des élèves de notre classe. Il s'y parlait de philosophie, de St-Ex à un québecois de Montréal "André Quelquechose", en passant par Platon, les Allemands, quelques Français. Merveilleuse initiative, dont je ne fus pas peu fier et que je me remémore volontiers. JP fut le dernier "Maître" qu'il me fut donné de suivre.. Pas étranger à ma décision de m'inscrire à la faculté de Philosophie. Mais là, je fus amèrement déçu. Les universitaires n'arrivaient pas à la taille de JP. C'étaient de vulgaires répétiteurs, des perroquets, pas des Maîtres.

Plusieurs années plus tard, notre Conventum se réunit à Chicoutimi. Je pus influencer le contenu des retrouvailles. J'organisai un cours magistral à l'ancienne, sous l'égide des deux professeurs qui avaient été mes Maîtres à penser: Jacques Tremblay, professeur de littérature française, et Jean-Paul Tremblay, professeur de philosophie. Ils n'avaient pas trop vieilli, nous donnèrent un bon spectacle. C'est moi qui reconduisit JP à l'autobus qui le ramena à Québec.

Quant à Jacques Tremblay, je le retrouvai un peu plus tard alors qu'il prenait une marche devant ma maison. Parle, parle, jase, jase, il devint mon ami et me fit l'honneur de me léguer les écrits qui avaient occupé sa retraite du CEGEP. La dernière fois que je le vis, il se remettait, sur l'étage de neurochirurgie, d'une intervention dévastatrice. JP mourut à Québec, alors que je travaillais trop fort à Chicoutimi. Les funérailles eurent lieu à Baie S-Paul. Trop fatigué, j'en fus absent. Je l'ai toujours regretté.

La vie, me semble-t-il, m'a donné cette chance d'avoir accès à des être exceptionnels, dont l'influence m'a accompagné tout le long. J'ai vu grandir mes enfants: il m'apparaît qu'eux n'ont pas eu la même veine. Me suis-je trompé?

Delhorno

lundi 4 février 2008

BAIE DES CHALEURS

C'est le bout du monde. Pas de rue Sainte-Catherine, ici. Ni de Champs-Elysées. Pas même de rue Racine. Deux sortes de bipèdes, ici, les parlant Anglais et les parlant Français. Quand un Anglo se pointe, les Acadiens se mettent à parler Anglais; l'inverse n'arrive jamais. Une chose étonne cependant: les Acadiens semblent heureux, ils chantent et sourient en parlant. Alors que les Anglos me semblent tristes, songeurs. Leurs enfants sont partis vers le sud, leur pays passe aux mais de ceux qu'ils déportèrent en 1755.

Oui, je l'admets, j'ai tendance à juger "binairement", en blanc et noir. C'est peut-être plus gris ici que je ne l'ai écrit. Certains peintres tendent vers le flou. Ce n'est pas mon cas.

Face à Campbellton, il y a Pointe-à-la-Croix. C'est le Québec! La Baie-des-Chaleurs est le site de la dernière bataille de la France contre l'Angleterre en Amérique. Bataille perdue. Six ans après Evangéline. Que serait-il arrivé si le roi de France avait été plus intelligent, mieux conseillé, plus avisé?

L'Hôpital de Campbellton, qu'on aurait pensé unilingue anglophone, est rempli de francos et même de québecois! Qu'est-il en train de se passer ici? Un petit miracle? La déportation de ceux qui déportèrent?...

C'est ici le bout du monde. Petites gens, petit pays... mais on y vit, on y reste, et on y semble heureux! On construit comme ailleurs! J'y vis la même vie qu'à Chicoutimi... Pas besoin de vivre à Québec et Montréal pour être heureux...

Delhorno

dimanche 3 février 2008

RACHOIN

Toujours je me rappellerai de notre première rencontre. Il avait l'air d'un émir du désert de Jordanie. Je regardai minutieusement autour de lui, car il ne manquait que l'étalon arabe blanc. Politesse exquise, que je n'avais pas connue jusqu'alors. Parlait français avec l'accent libanais. Il portait des bas de soie, ce qui était inusité pour nous, les Pure-laine. Cheveux noir-corbeau, moustache à la Omar Sharif. Il serait mon patron pour l'année qui venait de débuter. Il devint mon ami et l'une de mes idoles. Pourquoi? Je n'avais jamais vu de chirurgien aussi habile depuis le début de mon entraînement. Mon échantillonnage n'était pas mince, pourtant! Chicoutimi, Québec, Montréal,Minneapolis, américains, anglais, québecois. Dès les premiers coups de ciseau que je le vis donner, je me dis qu'il me fallait absolument devenir l'alter ego de ce chirurgien libanais.

Cette année-là, je le vis en remontrer à tous les patrons de l'Hôtel-Dieu. Les opérations de Whipple ne l'intimidaient aucunement. Ni les shunts portocaves. Ni aucunes des opérations de chirurgie générale. Il était le roi d'une salle d'opération: ses résidents tournaient autour de lui comme une bande de pantins. Je me souviens d'une journée où ensemble nous pratiquâmes cinq cholécystectomies classiques, à l'ébahissement de nos patrons universitaires. A l'époque, dans les hôpitaux universitaires, faire deux cas par jour était déjà un exploit.

C'était la guerre au Liban alors. Khattar n'avait qu'un rêve: retourner chez lui. Il dut retarder un peu son retour. C'est ainsi qu'on le vit chirurgien à Roberval quelques mois en 1977. Je ne l'ai jamais revu. Si tu me demandes, Gibus, pourquoi j'ai "blogué" à son sujet aujourd'hui, je te répondrai très simplement: il fut le meilleur chirurgien qu'en trente-cinq ans j'aie pu observer. Khattar Rachoin.

Delhorno

samedi 2 février 2008

L'INSOLITE

"Il ne faut pas refuser l'insolite quand il se présente." Agatha Christie.

Séville. Il y a quelques années. Hotel Derby. Obtenir des chambres dans cet hôtel avait été un cadeau du ciel. Un obscur comptoir de voyages à Malaga. Employé tout aussi obscur. Mais d'une gentillesse que je qualifierais de "baieriveraine".
-Intentamos ir à Sevilla la semana proxima. Puede usted aconsejar un hotel?
Il nous réserva trois chambres dans cet hotel du centre de Séville pour un prix presque dérisoire. J'écris "dérisoire" car ceux qui nous suivirent et s'essayèrent d'y trouver des chambres au même prix jamais ne le purent. Mais là n'est pas mon histoire.

Le lendemain matin de notre arrivée. Fr. désirait "ir de compras" au "Inglès Cortes" situé en face de l'hôtel. J'accompagne Fr. par principe. Un peu plus tard, nous convenons de nous séparer. Je désire aller au musée archéologique. Je sors du magasin. Héle un taxi. J'embarque.
-Conduisez-moi au musée arch... dis-je au "taxista", dont j'ai oublié le prénom maintenant.

Conversation plus ou moins banale. Je lui avoue mon grand intérêt pour Rome, l'Impériale.
-Seriez-vous intéressé à visiter le site archéologique de Hispanola?

J'hésitai, par crainte d'arnaque. Je me dis ensuite: Pourquoi pas?

Il survint que l'homme était vrai. Il avait passé son enfance sur le site d'Hispanola. Il savait donc de quoi il parlait. Nous traversâmes le fleuve dont j'ai oublié le nom et d'où partit Christophe Colomb lors de ses premiers voyages vers l'Amérique. Arrêt devant un endroit quelconque. Nous entrons. Ce fut dès lors un enchantement. La cité romaine était sise sur une esplanade. Une heure de pur enchantement. Les mosaïques, le forum, le cirque, les rues, les maisons, tout y était. Pourtant, les guides touristiques mentionnent à peine Hispanola...

Le chauffeur de taxi m'amena ensuite dans son barrio, où il y aurait fête le soir-même. Un grand chapiteau était monté. Il me présenta quelques voisins, des amis. Apéritif. Je parlais à peine espagnol alors. Il me ramena ensuite au musée.

Ce n'est que quelques années plus tard que, lisant les premières pages de l'autobiographie d'Agatha Christie, je notai cette petite confidence: "Il ne faut pas refuser l'insolite quand il se présente."

Delhorno

vendredi 1 février 2008

DALHOUSIE

Je vous écris, cher Gibus, cher McPhee, de Campbellton, où je suis arrivé hier. Donc, Chicoutimi, Québec, Rivière-du-Loup, Edmunston, Saint-Quentin, Kedgwick et Campbellton. Aucun incident de parcours. Sommes en pays francophone. C'est à Grand Falls, dans la vallée de la rivière Saint-Jean, que le pays de l'Anglais commence. Ils parlent deux langages différents, mais leur vie est identique et leur destin inséparable. Je parle de l'Anglais et du Français, des hommes, de l'Homo Habilis. Ils font du papier, à partir des sapins et épinettes du Nouveau-Brunswick. Irving est l'homme fort, ici. A Dalhousie, cependant, c'est Bowater, et ils ferment aujourd'hui l'usine. Ce sont trois cent cinquante emplois directs qui s'envolent, sans compter les indirects. Des Anglos et des Francos. Catastrophe. La majorité des employés délestés sont des quadragénaires et des quinquagénaires difficilement recyclables... Maisons à payer ou à vendre... Dettes... Le papier se vend moins bien. Ce sont des électrons que Homo Mondialis lit maintenant. Et la mode, maintenant, c'est la fibre de l'Eucalyptus brésilien, moins dispendieuse, plus facilement renouvelable que celle de nos épinettes.

Ainsi va la vie... Les goélettes du Saint-Laurent ont disparu, victimes des bateaux de fer. Il nous faudra nous inventer de nouvelles manières de vivre. Plusieurs souffriront entretemps. Devront se relocaliser. Mon grand'père François vivait sur le Cap-aux-Corbeaux, près de Baie-St-Paul, d'où il avait vue sur l'Ile-aux-Coudres et le Grand Fleuve, sans doute le plus bel endroit au monde. Un "spot" METAPHYSIQUE, comme disait l'abbé Jean-Paul, mon vieux professeur de philosophie. Le hic, c'est que François et Mary y crevaient de faim... Ils quittèrent tout et mirent le cap sur Port-Alfred, où il était possible de vivre. Mon grand'père avait alors plus de cinquante ans. La maison du Cap-aux-Corbeaux a pourri sur pied. J'ai eu la chance que mon père m'en montre les vestiges dans les années cinquante. Les dérangements de la vie ont souvent des effets pervers... Le hasard a couplé l'arrivée à Port-Alfred de François à celle, à Bagotville, de Guillaume et Marie-Blanche, des québecois pure-laine que la Banque Nationale avait relocalisés au Saguenay, et qui furent les parents de ma mère Lucile. D'où ma venue sur cette terre.

C'est sans doute ce qui arrivera à plusieurs des familles de Dalhousie.

Delhorno