lundi 31 décembre 2007

SEGREGATION

Qui a dit qu'une vie est faite d'occasions ratées? La mienne en compte plus que sa part. J'écarte tout de suite ces ratés contre lesquels on ne peut rien: ceux causés par la génétique, par la géographie, par le manque d'argent, etc. Il y a de ces occasions manquées qu'on voudrait revivre, celles où on n'a pas été à la hauteur, par couardise, par ignorance, par paresse. Je dois m'en confesser. Il y a tant de ces fois où je n'ai pas été à la hauteur. Laisse-moi, Gibus, revivre celle-ci. Ainsi aurai-je l'impression de terminer 2007 purifié; le sentiment d'avoir remboursé une dette due depuis trop d'années.

Hôtel-Dieu de Montréal. 1974 ou 1975. Peut-être 1976. Trois classes de patients chirurgicaux. La première, celle des chambres privées. Beaucoup de citoyens d'Outremont. D'habitude, les patrons se les réservent. Les résidents ne les opèrent pas, se contentent d'inscrire des notes dans les dossiers, de rédiger les prescriptions. La deuxième, celle des chambres semi-privées. Les résidents y sont rois et maîtres, mais opèrent les cas sous supervision stricte. La troisième, celle des salles. Patients qui n'ont ni argent ni assurance pour se payer le luxe de chambres privées ou semi-privées. Cet étage est mené par un chef-résident et ses sous-fifres. Ils opèrent les patients qui n'ont à peu près rien à dire... Les patrons n'entrent pas dans les théâtres opératoires, sinon que lorsqu'il y a problème majeur. Tout s'y passait bien, d'habitude. Les chef-résidents y étaient ultra-compétents, certains opérant mieux, même, que leurs patrons...

Il survint, à l'époque que je te raconte, une épidémie d'infections à Staphylocoques Dorés chez les patients dits "de salle". A peu près tous, sinon tous les opérés en furent atteints. Le chef du département de chirurgie s'arrachait les cheveux! Comment s'en sortir? Et... il y avait certainement un coupable...

Il fut trouvé prestement! Le chef-résident de la "Salle" lors de l'épidémie était un Noir, originaire de Port-au Prince. Le seul Noir de l'étage. Je tairai son nom. Ce que je n'occulterai pas, c'est qu'on l'accusa, le jugea et condamna sommairement. On lui fit reprendre son année. Sans aucune preuve d'ordre objectif ou scientifique. Nous, ses pairs, bien au fait de la méthode scientifique, des études objectives et "randomisées", ne sûmes que dire, que faire, comment réagir. On nous passa entre les pattes un procès de type "Ceaucescu" à saveur raciste et ségrégationniste. Toutes ces années, j'ai éprouvé, en y pensant, une piètre opinion de moi-même. Car "Dieudonné Jean-Pierre n'était pas seul sur cet étage. Entouré de subalternes blancs, qui s'en sortirent blancs comme neige...

Delhorno

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