lundi 14 juillet 2008

MES RIVIERES: LA RUPERT

5. LA RIVIERE RUPERT


Il serait inexact d'en parler comme d'une grande amie. Ne l'ai rencontrée qu'une fois. Mais, dans le cadre de ce projet d'écriture, elle est incontournable. J'apprendrais au fil des ans qu'elle vit au coeur d'un pays immense, la Jamésie, -néologisme, incontestablement, car jamais mes maîtres ne m'ont enseigné qu'un tel pays existât au Québec- c'est-à-dire le pays de la Baie de James. Mais, il fallait d'abord s'y rendre!

Partir de Chicoutimi, se rendre à Roberval et Saint-Félicien, aborder et traverser le Parc de Chibougamau, coucher dans Chibougamau même, le lendemain, reprendre la route du nord jusqu'au village cri de Mistissini, sis sur la rive sud-est du Grand Lac Mistassini. Nous ignorions complètement que des Cris vivaient là, qu'ils y étaient organisés. Le commis autochtone du pourvoyeur nous attendait. Je me souviens lui avoir demandé:
-Would you tell me where the toilet room is located?
-We do not go very much for toilets!

Il n'y avait pas de toilette. Il fallait aller dans le bois voisin, lequel heureusement n'était pas très loin. Il m'avait répondu d'un ton que j'avais trouvé condescendant, comme s'il avait voulu me transmettre un certain mépris pour les systèmes d'égoût des blancs... Je ne lui en tins pas rancune, mais je notai tout de même qu'à l'instar des blancs, ils avaient installé l'eau potable!

Un petit Cessna blanc, quatre passagers, nous attendait. Le pilote,un anglophone rompu aux escapades dans la brousse nordique, ne parlait que pour dire l'essentiel. Je lui demandai comment il vivait l'hiver. La question était d'importance, car l'été, -donc le tourisme et la pêche- ne dure que quelques semaines en ces latitudes. Il nous répondit qu'il s'occupait des Cris, allait les mener à cent, deux cent milles plus au nord, chasser l'orignal, ramenait les malades, souvent les carcasses d'orignaux aussi, leur apportait l'essentiel. Car il ne restait plus d'orignaux au pourtour du Grand Lac Mistassini. J'en fus étonné...

Survoler du sud au nord le Grand Lac Mistassini: une affaire de quarante-cinq minutes. Les Cris géraient le campement; mais le cuisinier était un québécois! Prestement, il nous offrit à dîner, car le guide s'affairait déjà sur les quais, prêt à nous amener pêcher. C'était l'été, fin-juin, mais nous nous doutions que ce serait du temps d'automne qui nous accueillerait sur le grand lac. Habits d'hiver, conséquemment. Heureusement!

Une heure et demie de navigation avant d'y arriver. Paysages suberbes, jamais vus. Le guide cri était debout, à côté du moteur, scrutant l'horizon, impassible. Pas un mot, pas un sourire. Soudainement, un cri:
-It is here!

Nos yeux s'écarquillèrent! C'était elle, la Rupert! Nous en fûmes éberlués, n'ayant jamais rien vu de tel, pas même à la télévision. Une masse d'eau vrombissante, descendant du grand lac en cascade, se fracassant contre des rochers énormes avec une violence inouïe. Pas un endroit pour amarrer la chaloupe. Il nous fallait pêcher à contre-courant, le nez de la verchère vers l'amont, pendant que le guide maintenait la vitesse du moteur au diapason de la vitesse du courant, de sorte que nous faisions du sur-place. Nous avions rêvé de belles grosses truites rouges... Nous ne prîmes que d'énormes brochets que nous nous empressâmes de remettre à l'eau. Nous pêchâmes la Rupert sur un ou deux kilomètres, le guide cri toujours imperturbable, laconique, sans même le plus petit des sourires. Ce fut trop vite l'heure du retour. Une autre heure et demie de chaloupe sur le Grand Lac Mistassini, des paysages à vous couper le souffle, pas moyen de se dire un mot, car le grondement du moteur rendait inutile la moindre conversation. Ce fut mon seul rendez-vous avec la Rupert. Je m'étais dit que j'y reviendrais un jour... Ce jour-là n'est jamais venu.

La Rupert. Un voyage de pêche manqué sur le plan halieutique, mais aussi le souvenir d'une amitié qui ne put survivre... Quelques mois plus tard, en effet, mon compagnon de pêche, qui était aussi mon voisin, s'en fut travailler chez Gaz Métro et fut transféré à Val d'Or et ensuite au bureau-chef à Montréal.
La Rupert. Quelques beaux souvenirs, dont celui-ci: un midi, sur l'une des nombreuses presqu'îles qui entourent le Grand Lac, un dîner à la Cri, sous le soleil bienveillant des grandeurs nordiques. Petit feu de camp apprêté en un tour de main par le guide, un poêlon de fer, du steak, du maïs en grain, du pain frais, un peu de beurre, du thé. Conversation tranquille, le guide, que nous avions fini par ensorceler. douceur de vivre. Une autre fois où je pus me dire que le bonheur ressemblait peut-être à cet instant.

Prochainement: LA SEINE

Delhorno

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