jeudi 10 juillet 2008

MES RIVIERES: LA MALBAIE

2. LA RIVIERE MALBAIE

La Malbaie. Ce nom s'était approprié une valeur mythique dans le monde des Delhorno au début des années cinquante. Il vous savoir que les Delhorno étaient gens de chasse et de pêche depuis l'installation de l'ancêtre en Nouvelle-France. L'un des leurs avait été réputé le meilleur chasseur de l'Isle-aux-Couldres au début du 19e siècle. Il n'était pas facile, dans le temps que je vous parle, de se faire octroyer un territoire de chasse et pêche au pays de Québec. Il vous fallait être politiquement bien placé, au bon endroit, au bon moment. C'est l'exploit que réussirent les Delhorno, aidés de l'oncle Pierre-Alphonse, du curé Boily, de Chantal Tremblay et des frères Oscar et Jean-Marie Boulianne. "Le Club de Chasse et Pêche Notre-Dame des Flots". Un triangle de rêve dont le côté nord était situé entre les 2e et 3e ponts sur la rivière Malbaie. Le territoire se rétrécissait sournoisement en direction du lac Moreau, du lac des Bouleaux, ceux de la Grosse Femelle, de la Fringale et des étangs d'Argentenay.

La rivière Malbaie... Elle fut, je pense, le second amour de Mutt jusqu'à ce qu'il ne puisse plus s'y rendre, au début des années soixante. Il la connaissait comme le fond de sa poche. Le Premier Pont, Le Deuxième Pont, la décharge du lac Moreau, la décharge du lac du Cran Rouge, le Troisième Pont, le Grand Remous. Oh! Que de fois nous entendîmes résonner ces vocables quasi homériques dans la cuisine de la maison. Histoires de pêche, de chasse, de randonnées, d'incidents, de chicanes!

Je vous ai raconté, je crois, l'histoire de mon premier voyage de pêche sur la Malbaie. Il y eut aussi celle-ci, qui survint un froid samedi de novembre, sur la colline qui surplombe le ruisseau du Cran-Rouge tout près de son arrivée dans la rivière Malbaie. Il y avait là le cousin Gaston, Mutt, mon petit frère Marcel et moi, Claudio Delhorno. Gaston était venu visiter ses pièges à vison, ainsi qu'il le faisait hebdomadairement. Nous marchions tout doucement, et nous parlions bas, ainsi qu'il se doit, dans les bois. Tout à coup, Marcel chuchota:
-Regardez, regardez ce qu'il y a là-bas!
C'étaient de belles taches noires qui glissaient dans l'eau à partir de la blanche berge escarpée du ruisseau. On aurait dit des enfants faisant du toboggan. Nous restâmes interdits plusieurs instants. Des loutres! Mutt n'avait jamais vu ça de toute sa vie. Les spectacles, malheureusement, s'achèvent toujours. Les loutres, sans doute, sentirent notre présence incongrue et disparurent. Des spectacles, j'en ai vu tant et tant depuis ce samedi de novembre. Celui-ci, sur les bords de la rivière Malbaie, un samedi froid de novembre, du vivant de Mutt, je ne l'ai jamais oublié.

Un autre samedi matin, que j'étais venu de l'université pour aller chasser avec Mutt. Un petit étang, tout à côté de la Malbaie, où nous étions plus ou moins embusqués. Deux beaux canards tout à coup amerrissent à nos pieds, dans une frénésie qui sema la panique chez Mutt, qui ne parvint jamais à charger son fusil!
-Donne-le-moi! lui dis-je exaspéré.
Il ne voulut point. Je l'ai toujours soupçonné de n'avoir pas permis ce meurtre. Au fil du temps, à force d'avoir vécu tout près de la vie et de la mort dans les hôpitaux, j'ai souvent remercié Mutt de son incompétence lors de ce samedi: elle a permis que nous laissions vivre ces deux amis ailés.

Je n'oublierai pas, non plus, cette orignale que nous vîmes courir devant nous un autre après-midi d'automne. Nous ne sommes que peu nombreux à avoir vu ça. Ce gros ours noir, aussi, qui, poltron, se sauvait à en perdre haleine. Ces castors, inlassables, qui éclusaient tout ce qu'il y avait de rus et de ruisseaux sur les bords de notre rivière.

La Malbaie? Je l'ai marchée, je l'ai respirée, je m'y suis trempé jusqu'aux épaules, je l'ai tant et tant regardée, admirée, je l'ai tant aimée.

Plus tard, plus vieux, j'organiserais une escapade aux "Eaux-Mortes de la rivière Malbaie". J'y voguerais toute une journée, toute une soirée, jusqu'au pied des chutes qui descendent du lac Malbaie. Le beau-frère y prendrait une superbe truite, un trophée, que nous n'oublierions pas. Je ferais tout ce voyage en pensant à Mutt, qui m'avait parlé de ces eaux mortes comme d'un Eldorado, en pensant aussi à Menaud et au Huard...

Demain: LA RIVIERE ROUGE

Delhorno

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