dimanche 13 juillet 2008

MES RIVIERES: LA MISSISSIPI

4. La rivière Mississipi

Pas certain qu'elle ne soit qu'une rivière... Les Américains disent Mississipi RIVER. Il semble que l'anglais ne fasse pas de différence entre une rivière et un fleuve; tous deux sont RIVER. En ce qui concerne, le Mississipi serait plutôt un fleuve qu'une rivière. Mais bon... Elle avait été française, le savais-tu, Gibus. Relis ton histoire.

Plus grand fleuve des Etats-Unis, selon l'enseignement de mes maîtresses d'école. C'est tout ce que j'en savais. Jusqu'à la fin-juin 1971. J'arrivai cet après-midi-là, par l'autoroute 35, de Duluth et du Canada. C'était la canicule à Minneapolis: une senteur de maïs brûlé ne manquait pas de vous répugner. Nous étions fatigués. Chambre bas-de-gamme dans un Howard Johnson pour quelques jours. Il fallut tout de suite chercher un appartement, que nous dénichâmes, après essais et erreurs, dans le nord de la ville, sur Foss Road. Location de mobilier. Le lundi matin, je garais ma Datsun orange-brûlée sur le stationnement surélevé des University of Minnesota Hospitals. C'est alors, à ce moment exact, que je la vis. La MISSISSIPI RIVER. Elle me déconcerta quelque peu, par sa piètre largeur. Je l'avais imaginée plus spectaculaire, fourmillant de DELTA QUEEN, de barges et de remorqueurs. Rien de tout cela. Je la côtoyai durant les quinze mois suivants. Relations que je qualifierais de "routières", car je ne l'aperçus jamais que du haut de mon stationnement ou des ponts qu'il me fallait traverser.

Elle séparait Minneapolis de St-Paul. Je m'étais rendu là à cause de quelques hommes: Christian Barnard, première transplantation cardiaque, les frères Grondin, chirurgiens cardiaques à Montréal, Emile Bertho, le premier chirurgien cardiaque de Chicoutimi. Je m'aperçus bientôt que je n'avais pas l'étoffe d'un chirurgien cardiaque, que je ne savais pas l'anglais, que je ne pourrais pas demeurer là bien longtemps. Immersion douloureuse, sinon pénible, s'il en fut une...

Je dus, sous pression, apprendre l'anglais, en quelques mois. Les Américains de Minneapolis me montrèrent ensuite leur WAY, THE AMERICAN WAY, faire les choses rapidement, avec agressivité, "get things done", ce qu'on ne m'avait pas enseigné à Chicoutimi et Québec. Ils m'initièrent à ce traitement nouvelle vague, PARENTERAL HYPERALIMENTATION, à insérer les sondes sous-clavières nécessaires à l'instillation de ces nouveaux solutés. J'apprendrais à travailler fort, tout le temps, à négliger ma vie personnelle et celle de celle qui m'avait suivi par amour, et celle de mes enfants à venir, dans la poursuite d'une tâche prométhéenne... La maladie, en effet, est éternelle. Quand je revins au Québec, en octobre 1973, j'avais changé...

C'est sur la rive ouest du Mississipi, un samedi soir, le 5 août 1972, qu'il naquit, les cheveux tout noirs, l'air intelligent. Il fut tant aimé. Trop, peut-être? Mes frères, ma belle-soeur, vinrent "se virer", son parrain, notamment. Mes beaux-parents, aussi.

Minneapolis, ce fut aussi la rivière Minnetonka, Le Hennepin County, les rues Marquette et Jolliet, en l'honneur de ces français qui y vinrent les premiers. Marion Tallent, un collègue du South, qui avait enregistré un disque country à Nashville. Il voulait devenir chirurgien, mais il m'avait plutôt l'air d'un guitariste dixie... Bill Weintraub, le premier "New York Jew" que j'aie jamais rencontré, mais aussi le plus bel "enfant de c..." qui eût jusque là croisé ma vie. John Najarian, le grand chef, ex-footballer pour l'université de San Francico. Il s'adonnait à la transplantation rénale. Je fus capable de lui dire, d'homme à homme, que je retournais chez moi, en septembre 1972. Bart Cuderman, un de mes chef-résidents. Celui-là me ridiculisait parce que je parlais mal anglais. Je le recontrai quelques années plus tard dans un congrès: "I became a good surgeon in spite of you"... Dick Something, qui vint manger un soir chez nous; il voulait devenir urologue et s'établir à Sacramento, Californie. Ne l'ai jamais revu. Jean QuelqueChose, un Armoricain, qui avait épousé une chicoutimienne. Il faisait de la recherche dans les soubassements de l'hôpital. Il m'enseigna à surrénalectomiser des rats et m'introduisit à la chronobiologie. Sa vie prendrait une tangente marginale et on l'interdirait de pratique. Ironie du sort... Ce boucher de Green Bay, au Wisconsin... Je l'avais opéré d'une hernie inguinale. Il m'avait aimé. Lors de la visite de relance, il m'apporta un filet mignon long de deux pieds! Je n'avais jamais vu ça de ma vie. Jean-Claude Tremblay, le défenseur de Bagotville. Nous allâmes le voir jouer à deux reprises contre les North Stars. Les Gophers, aussi, l'équipe de football de l'Université du Minnesota. Un samedi après-midi. Non! Je n'ai rien vu d'autre! Si! Rochester, la Mayo Clinic, un dimanche. Mais rien de l'Iowa, ni des Dakota, à peu près rien du Wisconsin et du Michigan. Nous aurions pu, pourtant. Si seulement j'avais su...

Une nuit, -il venait à peine de naître- je m'endormirais sur l'autoroute en revenant du VA Hospital. J'aurais pu y laisser ma peau... L'autorité chirurgicale m'avait indiqué qu'ils ne me garderaient pas pour les années suivantes. Ca m'avait ulcéré. J'appelai Nicole Wells à Chicoutimi, lui précisai mon désarroi et mon désir de revenir chez moi. "Viens-t'en", qu'elle me dit.

Nous partîmes de Minneapolis un beau matin de septembre. Le soir-même, coucher à Kalamazoo, dans le Michigan. Ce fut ensuite Peterborough, chez la belle-soeur, et l'arrivée, le lendemain soir, au Saguenay. Je n'oublierai jamais le visage de Mutt, quand il le prit dans ses bras. Arrivé fauché à Minneapolis, je la quittai également fauché! La vie continua... Quelques mois plus tard, je sauverais d'une mort certaine un dénommé Jean Champigny: je simplement mis en pratique ce qu'on m'avait appris sur les bords du Mississipi, HYPERALIMENTATION.

Demain: La Rupert

Delhorno

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