vendredi 20 juin 2008

LE NID DE L'AIGLE

Pardonnez-moi, chers Gibus et McPherson, de revenir sur ce sujet.
"Le Nid de l'Aigle". Ce n'est pas la traduction littérale du mot allemand "Kehlsteinhaus". C'est le nom qui a été donné par l'ambassadeur (ou consul...) français en Allemagne. Pourquoi et comment? Je l'ignore totalement. Les Nazis y emmenaient les diplomates étrangers jusqu'en mil neuf cent trente-neuf. Question d'impressionner, nous a-t-on dit.

On peut y aller soi-même en auto, ou en autobus, si l'on veut. C'est tout près de Salzbourg. Tous cependant doivent arrêter au pied de la montagne. Là, des autobus spécialisés emmènent les visiteurs devant un tunnel. La route qui grimpe jusqu'à ce tunnel est une merveille du génie civil: la paroi frise la verticale, le spectacle qui s'offre à la vue est métaphysique, la forêt, ces grandes épinettes qui s'élancent vers l'azur comme des clochers de cathédrale, est époustouflante. Il faut marcher plus de soixante mètres dans ce tunnel humide avant d'arriver à l'ascenseur qui nous emmène au sommet. Nous sortons du chalet et... c'est l'extase. Je n'en dirai pas plus. Il faut voir vous-mêmes.

Nous avions une guide, dont j'ai oublié le nom et que je trouvai "jovialiste", c'est-à-dire d'une sorte de bonhomie bienheureuse ne cadrant pas avec l'objet de la visite. Je sais qu'on s'habitue à tout. Je n'ai jamais vu un croque-mort pleurer aux enterrements... Je ne lui aurais pas demandé un comportement macabre, pourtant. Peut-être aussi fûmes-nous fautifs, ma compagne Septembre Noir et moi-même. Peut-être en savions-nous trop sur "La Solution Finale"...

Notre groupe? Six ou sept personnes. Trois américains d'Omaha, fort peu impressionnants. Faut-il, Gibus, demander à trois honnêtes touristes du Nebraska "d'impressionner"? Question irrésolue. Mais aussi cette jeune femme aux cheveux noir-corbeau, frisés, le teint plutôt foncé, mince. Elle semblait en connaître beaucoup sur la Deuxième Guerre, presque autant que Septembre Noir. Elle parlait bien l'anglais, mais elle parlait aussi une autre langue, qui ne nous était pas familière, aux deux amis qui l'accompagnaient. En fait, ses connaissances étaient à ce point étonnantes que Septembre Noir ne put s'empêcher de l'interroger:
-Madam, few women know as much as you do about Second World War! Did you major in this field? Any special studies on the matter?
-Not particularly... Maybe because I am Jew...

Nous restâmes interloqués, Septembre Noir et moi, Delhorno.

Elle nous avoua un peu plus tard vivre fort mal cette visite. Mais il fallait qu'elle la fît. Nous ne creusâmes pas davantage l'interview. Par déférence. Par respect. Par pudeur aussi. Voilà. Nous redescendîmes muets du Nid de l'Aigle. Les nuages n'évacuèrent le ciel de Salzbourg qu'en fin d'après-midi, comme s'ils avaient voulu, eux aussi, respecter notre malaise.

Delhorno

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