jeudi 3 janvier 2008

DESILLUSION

Chaque automne, les cultivateurs de chez nous ont coutume de passer la charrue dans leurs champs. Il semblerait que "retourner la terre à l'envers" améliore le rendement de celle-ci l'année suivante. Cette tactique agricole est devenue un incontournable, tant pour le producteur que pour l'observateur. Que penser d'un cultivateur qui ne retournerait pas son champ à l'envers chaque automne. Eh bien! Il n'est pas du tout certain que ce "retournement de situation" soit réellement bénéfique. Il n'y a pas d'étude scientifique, contrôlée, à double insu, qui corrobore le bien-fondé du labour! Certains cultivateurs de la couronne de Montréal seraient en train, selon "La Semaine Verte" de faire la preuve du contraire...

Cette introduction est un peu longue, me diras-tu, Gibus. C'est que j'ai l'impression, à travers mon blogue, de "labourer" mon passé, de "vouloir raconter ma p'tite histoire". Or, j'en ai décousu largement, devant mes intimes et depuis la chanson des Cowboys Fringants, avec ceux qui sont anxieux de la raconter, "leur p'tite histoire". Il y en a plein le petit écran, de ceux-là, et plein mon environnement. Sans compter les "ceusses" qui écrivent leurs Mémoires! Claude Poirier vient de publier son autoabiographie, imagine! Ca doit faire partie de l'histoire naturelle du sexagénaire qui retourne vers ses terres de vouloir ainsi labourer son passé... Je ne t'oblige donc pas, Gibus, ni toi, McPerson, à me lire! Quoique... Ca ne prend pas grand'chose pour flatter un égo...

Il s'appelait Lucien Delisle, si ma mémoire est fidèle. Cet été-là, je faisais partie de l'équipe de tennis de mon patelin, que je ne nommerai pas, le respectant trop. Ce soir-là, nous jouions contre Jonquière, derrière le Palais Municipal. Les courts de tennis existent encore, au même endroit. Le sort m'adjugea un match de simple contre ce Delisle, dont j'avais jusqu'alors ignoré l'existence. Quelle ne fut pas ma stupéfaction quand il se présenta sur le court pour me serrer la main! Il n'avait pas de bras droit! L'avait perdu en bas âge, suite à un accident. Pour servir, il tenait et la balle et la raquette dans sa main gauche, lançait la balle sans échapper la raquette, et, après un mouvement rapide du bras qui m'apparut tenir de l'illusion et du miracle, frappait la balle en lui imprimant un "slice" que je ne fus jamais en mesure de bien retourner! Je gagnai bien quelques parties sur mon service... Son coup droit était aussi bon que son service! Il le frappait avec un effet que je n'avais jamais vu jusqu'alors. Il me lava. Pourtant, j'avais été sûr du contraire, avant le match.

Ma soirée se termina dans la désillusion. J'avais servi de "faire valoir" à un handicapé... qui avait dû se dire, en remontant à Jonquière:
-Rien n'est impossible, il suffit de vouloir, de ne pas lâcher. J'ai battu un gars qui avait ses deux bras!
Ses parents, sans doute, devaient lui avoir seriné la même médication verbale, depuis son malheureux accident.

Ma carrière de tennisman ne se termina point sur cette humiliation. Je rejouai, et rejouai, sams jamais exceller, mais sans jamais désespérer. Autour de la quarantaine, je me fis examiner la vue par un collègue qui prit le temps de m'examiner comme il faut. Personne auparavant ne m'avait si bien examiné. J'étais infirme moi aussi! Absence de vision binoculaire. Impossible de rivaliser, dans ces sports nécessitant de l'habilité oculomanuelle. Je m'étais souvent souvent demandé pourquoi j'étais toujours surpris quand la balle s'en venait vers moi, pourquoi je me faisais battre par Michael Caine, qui avait déchiré ses deux tendons d'Achille et pouvait à peine se déplacer sur le court. Si j'avais su... Que de temps perdu à m'essayer, à m'échiner...

On est toujours l'infirme de quelqu'un. Vrai ou faux? Et la partie est perdue d'avance.

Delhorno

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