dimanche 20 avril 2008

SAUCETTE BAIERIVERAINE

Je le sais, "saucette" ne se trouve pas dans le Petit Larousse! Pourtant, le mot est plein de saveur... Une "saucette" chez quelqu'un, c'est un court séjour. Régionalisme. A classer dans le même chapitre que l'accent. Je me suis donc permis une saucette baieriveraine cet après-midi, histoire de me remettre les deux pieds bien à terre, à l'endroit où ils foulèrent le sol pour la première fois en juin mil neuf cent quarante-quatre.

Car, j'ai été baieriverain... Le suis-je encore? Je me sens de plus en plus étranger à Bagotville, Port-Alfred et Grande-Baie. Parenté émigrée un peu partout. Ne reste que le cousin Gaston. Deux amis, oui, mais nous pourrions tout aussi bien être amis ailleurs... Une vieille tante que je tente d'oublier, deux ou trois cousins obscurs que jamais je n'ai revus...

Reste que je me suis senti étranger aujourd'hui au pays de mes parents, de mes frères et soeur, de mes amis. Sans trop savoir pourquoi. Est-ce moi qui ai changé, ou est-ce Port-Alfred?

Car le "Moulin", coeur de ma ville, est disparu, complètement, totalement. Démoli, démantelé. Même le "quai de la Consol" a été défait. Qui aurait pu croire ça? Nous pensions que c'était éternel! J'y revois encore les goélettes chargées de pitounes à ras bord, les bateaux de fer qui arrivaient d'Anticosti, le "baume" et les milliers de billes d'épinette qu'il emprisonnait. Je n'ose parler du reste: le monte-pitoune, les deux tas de bûches, le "Time Office", les machines à papier, la balance. Gibus, McPhee, le moulin de la Consol, au temps de mon père et de mes oncles, du temps de ma jeunesse, c'était du solide, comme le roc de Gibraltar.

Mon père y gagna mieux sa vie que mon grand'père gérant de banque. Il s'y fabriquait du "newsprint", que les gars du moulin exportaient à Miami "Miami Herald", New York "Times", Chicago, Détroit. Nos gars se gargarisaient du meilleur papier à journal au monde!
J'ai moi-même travaillé au "Time Office", aux "Ecorceurs", aux "Taches"; j'ai vu mon père et mon beau-père, le premier aux "Machines", le second sur la "Balance", suer leur "shift" sans jamais rechigner. Mon oncle Raoul travaillait sur la "Couleur" et mon oncle Fernand au "Magasin". Tous décédés. S'ils savent ce que j'ai vu cet après-midi, ils ne doivent pas le croire.

Suis allé ensuite revisiter la maison paternelle, Cinquième Avenue. Les érables du fond de cour ont tant vieilli! Je ne les oublierai jamais: car je les ai plantés avec mon père. Nous les avions volés sur la terre d'un simili-cultivateur de St-Félix... Ont à peu près cinquante ans maintenant. La ruelle existe encore, mais sans vie et sans avenir. La municipalité s'est débarassée des ruelles, il y a quelques années. Servent maintenant de stationnements pour les autos des propriétaires. Pour nous, c'était l'un de nos nombreux terrains de jeux. Oublie-t-on jamais les terrains de jeux de son enfance?

La maison du grand'père François a dû être vendue, car la longue galerie est maintenant bordée d'une clôture à barreaux qui ne cadre pas du tout avec l'architecture du lieu. L'ancêtre a dû tempêter... Il détestait son voisin à l'Isle-aux-Couldres et avait bâti sa maison de telle sorte qu'elle montrait son derrière au dit voisin.
J'en avais assez vu... Volontairement, j'ai reporté ma visite aux deux cimetières, de crainte...
Il me faudra désomais vivre de souvenirs, le moulin démantelé, les maisons ancestrales dénaturées, ma parenté disparue.

En moins de deux générations tout un monde s'est effondré. Réflexion sur le sens des mots éphémère et pérenne...

Je pense maintenant savoir pourquoi je ne me sens plus baieriverain.

Delhorno

3 commentaires:

Guy Sarrazin a dit…

Un beau retour sur la toile... Une autre réflexion profonde sur l'évolution.

Lise a dit…

J'ai bien aimé ce passage: Une vieille tante que je tente d'oublier, deux ou trois cousins obscurs que jamais je n'ai revus...

PEP a dit…

Mon cher Claude...
J'ai soupé avec une de tes vieilles tantes baieriveraines du nom de Denise... elle se demande si c'est elle que tu essaies d'oublier... elle est pourtant si gentille et d'agréable compagnie !!!!
PEP