samedi 22 mars 2008

OU M'ENTERRERONT-ILS?

Je n'aurais jamais crû devoir disserter sur ce point. L'affaire est devenue contentieux ce soir au souper. J'avais imaginé que, le moment venu, j'acquérerais au cimetière de mon choix le plus beau terrain disponible, que j'y ferais ériger une stèle d'inspiration romaine ou hellène en tenant compte de l'argent disponible et que finalement nous n'en reparlerions qu'au moment propice, c'est-à-dire celui où il serait trop tard pour que je puisse opiner... Je voyais les dépouilles de ma femme et de mes trois enfants s'empiler sur la mienne et perpétuer dans l'au-delà le "fardeau" qu'ils avaient été durant mon existence terrestre. Je n'avais évidemment pas tenu compte de mon gendre, ni de deux hypothétiques brus: ces étrangers, dans mon esprit, n'avaient pas voix au chapitre. Eh bien! Je devrai déchanter.

Encore une fois, j'ai été devancé par ma femme! Elle avait entamé le sujet avec sa soeur. Celle-ci, pour avoir épousé un anglophone ontarien, n'avait pas imaginé d'autre issue pour survivre dans l'au-delà que celle de reposer dans un minuscule cimetière de Codrington, c'est-à-dire au beau milieu de nulle part. Ma femme s'est vite insurgée contre une telle entreprise:
-Ta place est à mes côtés, avec Louis-Jos. et Rose-Ida, au cimetière de St-Alphonse!

Ma belle-soeur n'avait certainement pas prévu une telle opposition: il lui faudrait choisir entre son fils et son mari et sa petite soeur... Ses héritiers oseraient-ils une translation interprovinciale? Et William, accepterait-il de survivre seul à Codrington pour l'éternité? Car, une éternité, c'est long! La belle-soeur n'est pas la dernière venue... Elle annonça à sa cadette, il y a quelques jours, qu'elle avait concocté une solution susceptible de plaire à tout le monde:
-J'ai l'intention d'ajouter un codicille à mon testament. J'exigerai qu'on sépare mes cendres en deux portions. L'une des urnes restera à Codrington, l'autre prendra le chemin de St-Alphonse!

Ainsi donc, la belle-soeur acceptait d'être incinérée. Car l'autre option aurait difficilement permis une division en deux parties... Quoiqu'on aurait toujours pu alléguer que chaque cercueil contenait sa juste part...

Rapportant l'incident, ma femme me surprit en opinant fermement:
-En ce qui me concerne, je veux et j'exige qu'on enfouisse mes cendres à St-Alphonse, dans le terrain familial, avec celles de papa et maman. Je refuse obstinément d'aller à St-Edouard, dans le terrain des Delhorno, pour des raisons qui me tiennent à coeur. Je ne passerai pas l'éternité en compagnie d'étrangers!

Ma fille s'en trouva figée quelques instants. Ceci impliquerait des dérangements... Si la défunte décède à Montréal, il faudra faire l'aller-retour au Saguenay. Tout aurait été tellement plus simple si la future défunte avait accepté comme tout le monde d'être enterrée à Montréal, sur la montagne ou ailleurs. Mais ceci, elle eut la délicatesse de ne pas l'exprimer, ni vertement, ni ouvertement! Elle rétorqua simplement:
-Mais qu'allons-nous faire de papa, ton mari?
-Il viendra avec moi, à St-Alphonse!

C'en était fait de mes droits sur l'au-delà... Doutant de survivre à ma femme et mes enfants, j'ai vu s'écrouler mon rêve le plus porteur, celui de me prélasser à perpétuité dans ce nouveau cimetière qu'on a construit à la Baie, au bout du rang St-Jean. Je connais bien l'endroit pour y avoir fait du vélo une partie de ma jeunesse. La route a changé maintenant... Elle tourne vers le sud, vers Ferland et Boilleau, vers le pays de Menaud, vers la rivière Malbaie et le ruisseau du Cran Rouge. Qui sait? J'aurais peut-être pu, un soir de grandes ténèbres, enfourcher un vélocipède satanique et pédaler hors-la-loi entre les étoiles vers le "grand R'mous" de la rivière Malbaie, histoire d'y rencontrer Mutt ou le cousin Gaston... Ce sera certainement beaucoup moins drôle sur les hauteurs de St-Alphonse, où il n'a jamais fait beau et où il vente constamment. Sans compter que ma femme sera toujours là, à mes côtés, à grelotter et à me surveiller!

IL SUFFIT DE MOURIR POUR PERDRE LE CONTROLE DE SA DESTINEE...

Delhorno