vendredi 5 septembre 2008

L'INTERNE EGYPTIEN

Ne jamais préjuger des gens en fonction de leur apparence physique, de leur habillement, de leur provenance, de leur sexe ou de la couleur de leur peau. Facile à écrire! Politiquement correct! Dommage qu'il faille toute une vie pour se conformer à ce précepte...

1976. Hôtel-Dieu de Montréal. Je suis le chef-résident du Service de Chirurgie Générale, qui compte des médecins résidents et des internes qui nous arrivent de partout dans le monde. Des Libanais et des Syriens, surtout. Mais aussi des Vietnamiens, des Haïtiens, un Chilien, un Egyptien. Tout ce beau monde parle français, ou à peu près... Les Viets ont bien de la misère à se faire comprendre. Diaspora qui partage le même espoir: améliorer son sort. C'est la guerre au Liban, les Haïtiens crèvent de faim sur leur moitié d'île, Allende vient d'être tué, et je n'apprendrai que trente-cinq ans plus tard la motivation des Egyptiens à vouloir quitter les terres pharaoniques...

Jeudi soir, sur l'heure du souper. J'ai deux petites merveilles blondes qui m'attendent à la maison. Le chef du département s'en fout comme de l'an quarante. Il a décidé que les réunions de service auraient lieu de cinq à six le jeudi soir. La salle de réunion est vieillotte: elle doit dater du temps de Jeanne Mance! Lumière blafarde. Surpeuplée. Ce soir, c'est l'interne égyptien qui doit résumer je ne sais plus quel sujet. Il ne paie pas de mine... Grassouillet, bedon de quadragénaire alors qu'il n'a pas vingt-cinq ans. Les lunettes d'un autre âge lui pendent au bout du nez et il semble s'en accommoder sans problème. Je ne le connais point: il n'a pas encore travaillé sous mon égide. J'ai à ce jour oublié son nom. Je l'introduis donc.

L'hurluberlu s'installe debout devant nous tous. Je me dis que les prochaines trente minutes seront longues... C'est à ce moment précis, un jeudi soir d'automne, il pleut dehors et il vente, tout semble triste, c'est à ce moment précis, dis-je, que "la lune devient bleue"! Un miracle se produit devant nos faces incrédules. L'interne égyptien est un surdoué! Il nous aborde avec une douceur de parler qu'aucun d'entre nous n'a jamais connue. Il parle sans texte, d'un français impeccable. Le déroulement du discours est clair, sans répétition, le message en vient à nous intéresser suprêmement. Tout se passe très vite, tellement la prestation frise la perfection. Voilà! Il conclut! J'éclate de rire et le félicite chaleureusement. Un autre cas de "L'habit ne fait pas le moine"!

Je ne le revis que peu. N'eus point la chance de lui parler davantage. On me dit qu'il envisageait devenir psychiâtre. La dernière fois que je le vis? Juin 1976. Chez Jean-Panet Fauteux, party de fin d'année. L'Egyptien s'amène, radieux. Toujours le même bedon. Toujours les mêmes lunettes surannées au bout du nez. Qui l'accompagne? Une blonde époustouflante, plus grande que lui, l'air intelligent, sourire dévastateur. Je me présente. C'est une Italienne du Nord. Comment se sont-ils rencontrés? Elle le regarde avec tendresse, avec bonté: elle l'aime, j'en suis certain. Les gars n'en croient pas leurs yeux... Comment notre Egyptien sans panache a-t-il pu dénicher un tel pétard et s'en faire aimer? Je crois, McPhee, vous avoir déjà raconté cette histoire. Je l'ai répétée tant et tant. Quand je vous dis qu'il faut se méfier des apparences...

Delhorno

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