samedi 6 septembre 2008

L'INTERNE CHILIEN

J'ai malheureusement perdu le neurone chargé de retenir son nom... Il nous arriva un matin dans l'antichambre du bloc opératoire de l'Hôtel-Dieu de Montréal. Le teint foncé, les cheveux noir-corbeau, un sourire triste. Je lui enseignai le Ba-Ba de nos techniques. Il me dit qu'il arrivait du Chili. Je n'en sus point davantage ce matin-là. Tous nous notâmes qu'il se comportait en salle d'opération comme quelqu'un qui avait déjà opéré...

Je devins son ami. Il parlait le français avec un bel accent hispanique: je l'enviai de savoir les deux langues. L'histoire qu'il me raconta, c'est un histoire triste; je ne l'ai jamais oubliée, même si nos conversations datent de plus de trente ans.

Il avait été chirurgien thoracique dans un des gros hôpitaux universitaires de Santiago. Sa famille avait pris parti pour Salvator Allende. Les semaines qui suivirent l'assassinat du Président, ce fut la débandade. Beaucoup des opposants à la junte militaire disparurent, d'autres furent emprisonnés, plusieurs ne furent jamais revus. L'interne chilien, quant à lui, ne dut son salut qu'à la fuite. Il emmena sa famille en Argentine, d'où il s'en vint au Québec. Il avait quitté un luxueux logement dans le coeur de Santiago, tableaux de maîtres sur les murs, situation enviée et enviable. Le voilà qui repartait à zéro à Montréal.

Le Collège des Médecins lui prescrit de refaire son internat, puis son entraînement en chirurgie. Six années à refaire ce qu'il avait déjà fait... Pas une mince affaire à quarante-cinq ans! Je le revis quelques années plus tard, fortuitement. Il était devenu chirurgien général comme moi à l'Hôpital de Verdun. Son regard n'avait point changé: toujours aussi triste. Sans doute ses enfants s'en tireraient mieux que lui...

Il mourut subitement, d'un infarctus du myocarde, l'année d'après. N'avait pas cinquante-cinq ans. Voilà pourquoi j'ai toujours détesté Pinochet.

Delhorno

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