lundi 31 décembre 2007

LA BELLE ET LA BETE... OU LE RESPECT DE LA VIE

En hommage à un squale magnifique
Dont l'épopée nautique
Prit fin subitement
Il y aura bientôt deux ans
A Sainte-Rose-du-Nord,
Chez moi, au Saguenay.

La Belle avait grande et fière allure.
Son sourire éclatait au diapason
Du grand bonheur qu'elle ressentait.
Son heure de gloire, elle la tenait!
Trois cent tours de manivelle,
Au beau milieu du Saguenay!
Et la Bête démentielle
Avait enfin succombé!

Arrivé depuis quelques marées
Du pays d'Eric le Rouge,
Le Monstre énormissime
S'était laissé sortir de l'abîme.
Défaite sans clameur
Car jamais ne put-il protester...
Nos frères des profondeurs,
C'est connu largement,
S'expriment différemment.

Ceux du Quotidien
Et ceux de la télé
Accoururent les premiers.
Ils furent unanimes:
On venait d'assister
A Sainte-Rose,
A la Descente-des-Femmes,
Chez nous , au Saguenay,
Incontestablement,
A un grand exploit!

Quelqu'une,
Pour le plaisir,
Avait tué.
Tué pour le plaisir
De passer le temps,
Le temps...
Que l'hiver passe!
Elle avait tué
Pour tuer.

Lointaine descendante
De la femme du premier homme,
En solitaire elle avait occis
Un touriste maritime,
Adepte des profondeurs arctiques,
Dont le tort irréparable
Avait été de naître requin,
Groenlandais,
Voyageur
Et affamé.

Ceux du Quotidien
De La Presse et de la Télé,
A peine arrivés,
Refilèrent la nouvelle prestement
A leurs semblables
Des cinq continents
Qui dînent de ces grandes tragédies
Et vivent de la mort d'autrui.

Les biologistes furent consultés
Et ne se laissèrent point prier.
Le Monstre avait un nom latin,
Sa chair n'était point comestible;
Ils ne l'avaient pas vu
Dans nos contrées
Depuis plus d'une décennie.
Ils en savaient très peu
Sur ces squales danois,
Qu'ils avaient peu observés,
Mais ne manqueraient pas
D'étudier celui-là,
Y découvriraient sans doute
Trop de mercure
Traces de cyanure,
Et disserteraient,
Dès lors,
Et savamment,
Sur la pollution
Du Grand Fleuve.

Ils n'osèrent se prononcer,
Cependant,
Ce n'était guère important,
Si la Bête avait trop vécu,
Et se gardèrent bien d'ajouter
Qu'elle aurait pu vivre un peu plus.
La biologie,
Science de la vie,
N'aime-t-elle celle-ci
Que lorsqu'elle n'est plus?

Par l'odeur alléché,
Le Directeur du Musée
S'amena le dernier
Et statua au petit écran:
Le Monstre,
Empaillé ou congelé,
Aurait valeur d'attraction
En ces temps de piètre économie.
La démarche,
Incontestablement,
Indéniablement,
Incontournablement,
S'inscrirait dans le noble chapitre
Du développement durable.

Il voyait le squale
Agrémenter son étal
D'armoires bicentenaires,
De bancs de quêteux,
De surplis,
D'ostensoirs,
De chasubles
Et de socs de charrue.

Un loustic s'avança alors:
Il offrit au Musée
Gratuitement,
Inconditionnellement,
Son congélateur surdimensionné!

Les fonctionnaires du Ministère
Auraient bien voulu s'en mêler!
Mais ils s'étaient emmêlés
Dans des études contradictoires
D'où ils ne purent s'échapper.

Certains docteurs de la question
Avaient conclu que ces requins
Etaient si nombreux
Que la mort de celui de Sainte-Rose
Ne constituait qu'un prélèvement
Insignifiant.
"Ils finissent toujours,
Avaient-ils doctement pontifié,
Par mourir un jour."

Quelques autres avaient balbutié
Que la population de ces grands muets
N'avait jamais été recensée
Et que la mort d'un seul
Etait une mort de trop.

Plusieurs d'entre eux,
S'autorisant de Jobidon,
Limier trop connu,
Soupçonnèrent le requin
D'avoir "trempé"
Dans l'inexpliquée disparition,
Printemps deux mil cinq,
Du chargement de fromage
Que les Boivin du rang
Avaient mis à vieillir
Dans l'abysse du Fjord.
La mort du squale,
C'était clair,
Leur ferait résoudre
Ce contentieux!

Comment peut-on pavoiser ainsi
Et se vanter de par le monde
D'avoir tué si gratuitement,
D'avoir occis pour le plaisir,
En deux mots,
D'avoir tué pour tué?

J'opine pour ma part
Que le requin du Fjord
Aurait dû vivre plus longtemps
Et que celle dont le passe-temps
Est de taquiner nos frères de l'onde
Aurait dû bien avant
Couper ce fil immonde.

C'est le cas de le dire,
La vie de la Bête
Ne tenait qu'à un fil...
Après tout, la Belle
Avait eu pour y penser
Quelques trois cent tours
De manivelle...

L'heure de gloire que j'eusse chérie
C'eut été de faire le tour du monde,
Oui! Mais pour avoir respecté la vie!
C'est ce que m'ont appris
A l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier,
Mes trente années de chirurgie.

Delhorno

SEGREGATION

Qui a dit qu'une vie est faite d'occasions ratées? La mienne en compte plus que sa part. J'écarte tout de suite ces ratés contre lesquels on ne peut rien: ceux causés par la génétique, par la géographie, par le manque d'argent, etc. Il y a de ces occasions manquées qu'on voudrait revivre, celles où on n'a pas été à la hauteur, par couardise, par ignorance, par paresse. Je dois m'en confesser. Il y a tant de ces fois où je n'ai pas été à la hauteur. Laisse-moi, Gibus, revivre celle-ci. Ainsi aurai-je l'impression de terminer 2007 purifié; le sentiment d'avoir remboursé une dette due depuis trop d'années.

Hôtel-Dieu de Montréal. 1974 ou 1975. Peut-être 1976. Trois classes de patients chirurgicaux. La première, celle des chambres privées. Beaucoup de citoyens d'Outremont. D'habitude, les patrons se les réservent. Les résidents ne les opèrent pas, se contentent d'inscrire des notes dans les dossiers, de rédiger les prescriptions. La deuxième, celle des chambres semi-privées. Les résidents y sont rois et maîtres, mais opèrent les cas sous supervision stricte. La troisième, celle des salles. Patients qui n'ont ni argent ni assurance pour se payer le luxe de chambres privées ou semi-privées. Cet étage est mené par un chef-résident et ses sous-fifres. Ils opèrent les patients qui n'ont à peu près rien à dire... Les patrons n'entrent pas dans les théâtres opératoires, sinon que lorsqu'il y a problème majeur. Tout s'y passait bien, d'habitude. Les chef-résidents y étaient ultra-compétents, certains opérant mieux, même, que leurs patrons...

Il survint, à l'époque que je te raconte, une épidémie d'infections à Staphylocoques Dorés chez les patients dits "de salle". A peu près tous, sinon tous les opérés en furent atteints. Le chef du département de chirurgie s'arrachait les cheveux! Comment s'en sortir? Et... il y avait certainement un coupable...

Il fut trouvé prestement! Le chef-résident de la "Salle" lors de l'épidémie était un Noir, originaire de Port-au Prince. Le seul Noir de l'étage. Je tairai son nom. Ce que je n'occulterai pas, c'est qu'on l'accusa, le jugea et condamna sommairement. On lui fit reprendre son année. Sans aucune preuve d'ordre objectif ou scientifique. Nous, ses pairs, bien au fait de la méthode scientifique, des études objectives et "randomisées", ne sûmes que dire, que faire, comment réagir. On nous passa entre les pattes un procès de type "Ceaucescu" à saveur raciste et ségrégationniste. Toutes ces années, j'ai éprouvé, en y pensant, une piètre opinion de moi-même. Car "Dieudonné Jean-Pierre n'était pas seul sur cet étage. Entouré de subalternes blancs, qui s'en sortirent blancs comme neige...

Delhorno

dimanche 30 décembre 2007

HUMILIATION...

...sur fond de ski de fond.

Quelque part entre 1976 et 1985... Au fait, pourquoi a-t-on appelé le ski de fond "ski de fond"? Ski, je peux comprendre... vieux mot des lapons ou des finlandais désignant les deux planches de bois... mais Fond? Et pourquoi pas Fonds? Les Anglais disent: "Cross-country ski", ce qui me semble plus évocateur. Wikipedia n'en dit pas un mot. Le même mystère s'applique à "slalom spécial" et "slalom géant"... Qu'a de "spécial" ce slalom? Et pourquoi cet autre serait-il "géant" quand il n'y en a pas de "nain"? Et pourquoi n'y a-t-il pas de "slalom régulier" ou de "slalom normal"? Autre mystère qui me hante...

Donc, quelque part entre 1976 et 1985. Club de ski de fond "Bec-Scie". Bec-Scie, c'est le nom d'une espèce de canard qui vit en Amérique du Nord, et au Québec notamment. Mais c'est aussi le nom que certains exaltés ont donné au club de ski de fond baieriverain, c'est-à-dire l'endroit où les gens de la Baie vont faire du ski de fond en hiver. Pourquoi "Bec-Scie"? Ca n'est pas évident... C'est même plutôt obscur... Le site n'est pas réputé pour héberger une colonie de Bec-Scie. Voilà pourquoi je parle "d'exaltés"... Je n'ai pas osé utiliser le terme "hurluberlus"... Les canards ne font pas de ski de fond! A fortiori, ils s'enfuient du Bec-Scie dès les premiers souffles du vent d'hiver... Quand ils amerrissent, les canards glissent quelques centimètres sur leurs pieds palmés. Ils freinent, finalement, en marchant à petits pas sur l'eau. "Pas alternatif". Nos hurluberlus ont sans doute vu là le lien avec le ski de fond...

La rivière à Mars est éclusée au Bec-Scie. Sur plusieurs kilomètres, elle est devenue un lac, qu'on aurait pu appeler "FILIFORME". Les pistes de ski de fond sont là, tant sur la surface glacée du lac que sur ses berges. C'est là que j'ai été heureux... D'abord sur les skis de mon frère, et ensuite sur les miens. Des heures de bonheur, à glisser, regarder, humer, respirer, réfléchir.

Ce matin-là, j'étais en grande forme. Au point où je me voyais représenter le Canada aux prochaines olympiades d'hiver. Il y a un ruisseau qui se décharge dans le lac Filiforme. J'en ai oublié le nom. Je me demande si ce n'est pas le ruisseau "Frette"... Mais rien n'est moins certain. Je skiais donc sur le ruisseau Frette, en direction du lac Filiforme. Grande et fière allure. Le soleil est à son zénith, il vente un peu, je porte la veste rouge que mes parents m'ont offerte en cadeau de Noël dix ans plus tôt. Je sens tout à coup qu'on skie derrière moi. Sorte de sixième ou septième sens. La "sensation" se rapproche. J'accélère, pour ne pas me faire dépasser. Car je suis un compétiteur, je l'ai toujours été! La "sensation" souffle derrière mes oreilles! Je dois m'incliner: je fais un pas de côté, pour laisser le passage, ainsi que le commande l'étiquette. Un quidam drôlement habillé me dépasse. Je lui dis bonjour. Il grommelle une réponse en s'éloignant. Je note au passage un crissement métallique qui s'accorde au diapason du pas alternatif de ce champion olympique. Je me dis tout bonnement que sa fixation frotte... et je continue mon chemin, allègrement, quoique humilié légèrement. Cinq cent mètres plus loin, voilà mon adversaire arrêté, penché vers sa jambe droite qu'il semble examiner. Je m'arrête:
-Y a-t-il quelque chose qui ne va pas? Etes-vous blessé? Puis-je vous aider?
-J'ai un trouble dans ma jambe de bois. Mais, ça va aller, continuez votre route.

Je ne sus que rétorquer. Ca, c'était bien moi. Dépassé par un gars avec une jambe de bois! Je devais être le seul au Saguenay-Lac St-Jean à qui c'était arrivé! C'était donc ça, le crissement... Je terminai ma course, désillusionné. Adieu aux jeux olympiques!

Arrivé au chalet, n'en croyant toujours pas mes yeux, je m'enquis:
-Est-il possible que j'aie croisé en chemin un gars avec une jambe de bois?
-Certainement, c'était Rémi Tremblay, un gars de Bagotville. A perdu sa jambe dans un accident de ferme quand il était jeune. Il vient ici tous les jours.

Delhorno

vendredi 28 décembre 2007

EN DECOUDRE AVEC DEQUATRE IV

Voilà le mal qui me hante,
Chaque fois que j'aborde,
Chaque matin que j'arpente
Déquatre l'insipide.
On eut beau dire
Aux amnésiques réformateurs
Qu'à Paris, l'Hôtel-Dieu
Garde son nom
Depuis Quasimodo,
Qu'on étudie toujours
A la Sorbonne,
Que Chicoutimi
Etait déjà Chicoutimi
Quand allaita la louve
Romulus et Remus,
Que Déquatre et Cétrois
Eussent bien pu
Demeurer éternellement
L'Ange-Gardien
Ou Saint-Gabriel
Ou Saint-Camille,
Leurs noms de toujours.
Ou, faute de mieux,
Honorer la mémoire
De cette Augustine fameuse,
De ces anciens respectés,
Qui, sur cent années,
Bâtirent la réputation
De l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier.
A un feu par quart de siècle,
Quel pompier eût pu s'y tromper?

Rien n'y fit.
On semble,
Par ici,
A chaque décade,
Effacer la précédente,
Occire le passé...
Pour recommencer.
Meurtrir la souvenance,
C'est évacuer l'Histoire!
Et... n'est-ce pas
Promouvoir l'Ignorance?

Oui, Epicure,
Mon vieux maître,
Tu avais raison,
Une des nombreuses misères
De l'ignorance,
C'est de toujours
Commencer à vivre.

Delhorno

jeudi 27 décembre 2007

EN DECOUDRE AVEC DEQUATRE III

Moi, mon préféré,
C'était Saint-Camille.
J'y laissai,
Je n'avais pas seize ans,
Août 1960,
Mon insouciance de séminariste.
Roland,
Dans la 309,
Y récupéra d'un infarctus
Qui changea notre vie...
Je jette toujours un regard furtif
Quand je croise la 309.

Il y eut aussi la 317.
Marc, malade,
De tous les maux,
Durant trois mois,
En 1988,
A l'automne.
Toutes ces chambres
Qui m'ouvrirent leur coeur,
Et me confièrent
En souffrant
Comment vivre,
Comment survivre.

La 307, mouroir
D'un petit homme,
Au début de ma pratique.
Aurai-je oublié,
L'instant venu,
Qu'il m'avait enseigné
Comment s'éloigner...

Saint-Gabriel est mon second choix.
J'y appris, à vingt-huit ans,
Le B.A-B.A. de la chirurgie.
C'est là que je vis oeuvrer
Les vieux chirurgiens chicoutimiens,
Aujourd'hui tous oubliés,
Dont je devins l'ami,
Dont j'aime penser
Qu'ils m'instituèrent
Leur légataire,
Emile
Edouard,
Claude,
Françpois,
Gérard,
Aubin.
Ceux-là me laissèrent
Grimper sur leurs épaules
De sorte que, espérions-nous,
Nous pussions
Voir un peu plus loin.
J'y reviendrai un jour.

A demain! Delhorno

dimanche 23 décembre 2007

EN DECOUDRE AVEC DEQUATRE II

Eh oui!
L'Ange-Gardien n'est plus.
Tous ont disparu:
Saint-Camille,
Saint-Gabriel,
Sainte-Anne,
L'Enfant-Jésus.
Humiliés.
Diminués.
Guillotinés.
Décapités.
Métamorphosés
En "Déquatre"
"Déhuit",
"Cétrois",
"Adeux",
Et, pourquoi pas,
Bientôt,
"Vousdeux",
"Noustrois"
Et "Parquatre"?
Sans compter "Tanguay"...
Technologie d'appoint!
Pour un peu de fric,
Huit "cans" de peinture,
Un divan,
Un mobilier de cuisine,
L'Enfant-Jésus
Aura troqué son âme
Et vendu son passé
A un vendeur de mobilier
Et d'électroménagers.
Apparemmement,
Cette néo-terminologie
Sera moins trompeuse
Pour les pompiers
En cas de feu,
Lors de cataclysmes!
Pourtant, pas un brancardier
N'est encore capable
De s'y démêler,
Malgré qu,on fit venir
D'outre-mer
Un consultant grec
Nommé Ariane
Pour installer un fil
Conducteur
Dans ce dédale
De chiffres
Et de lettres.

Même Saint-Vallier!
Le bon vieillard
Longtemps réputé
Intouchable,
Sur son rocher transi,
Dut subir le siège iconoclaste
D'étalagistes branchés
Débarqués de la grand'ville
Et, en moins d'une génération,
Fut rebaptisé "Hôpital de Chicoutimi";
Fut ensuite reconverti,
Dès l'ajout "stratégique"
De "Roland Saucier",
En "Complexe Hospitalier
De la Sagamie",
Sans doute par déférence
Aux réputés "Complexe d'Oedipe"
Et "Dépanneurs Sagamie";
Devint tout récemment
Centre de Santé
Et de Services Sociaux
De Chicoutimi.

Etonnamment,
L'observateur chevronné
Ne manque d'ironiser:
C'est toujours le bon vieil Hôtel-Dieu St-Vallier!
On y traite toujours des malades!
Seul le stationnement a changé!

...suite demain matin
Delhorno

samedi 22 décembre 2007

EN DECOUDRE AVEC DEQUATRE

"Une des nombreuses misères de l'ignorance, c'est de toujours commencer à vivre" EPICURE

A Homère, Xénophon, l'abbé Jean-Paul, Gibus, McPherson, et quelques autres...

L'aurore baieriveraine
A glissé ses doigts de miel
Sur le rocher des Augustines
Où somnole centenaire
L'Hôtel-Dieu Saint-Vallier,
Mon hôpital bien-aimé.

A ses pieds traînasse
Vers Sainte-Rose,
Sacré-Coeur
Et Tadoussac,
L'onde millénaire
Du fleuve Saguenay,
"Mare nostrum".

J'aborde à peine
L'entrée principale
Qu'une clameur soudaine
Détourne mon regard:
Un triangle de bernaches
S'époumone allègrement:
-Thalassa! Thalassa!
Je souris prestement...
Elles viennent sans doute
D'apercevoir la mer,
Là-bas, à Saint-Fulgence!
C'est sur cette batture
Qu'elles font halte,
Depuis des siècles.
Elles n'ont jamais oublié...
Je me dis encor
Qu'elles sont fort savantes
De me rappeler ainsi
Les sons de la clameur grecque,
Les mots célèbres de Xénophon,
Le reporter qui rendit fameuse
La retraite des Dix-mille.

Mon truc à moi,
C'est le quatrième.
Voilà! Nous y sommes.
"DEQUATRE".
La trouvaille ultime!
Vocable modernissime,
Dont quelque guignol
Affubla l'étage
Où guérissent mes opérés.

Déquatre, qui ne veut rien dire,
A remplacé l'Ange-Gardien,
Qui signifiait tout...
L'Ange-Gardien,
C'est l'Enfant-Jésus,
C'est la Pédiâtrie,
C'est le docteur Maurice,
C'est Aubin,
C'est Larochelle,
C'est Paradis,
La tyrosinémie,
L'acidose lactique,
L'ataxie Charlevoix-Saguenay,
Mon premier diabète juvénile,
Mes premières appendicectomies...


...la suite: demain
Delhorno

jeudi 20 décembre 2007

LE CROCHET DE GAUCHE

La réalité, souvent, dépasse la fiction... Oui, Gibus, McPhee, je ne le sais que trop bien, mon introduction frise le cliché, vous avez lu plus original! Lisez-moi bien, tout de même! Je vous laisserai conclure.

Un mercredi matin. Bloc opératoire de l'Hôtel-Dieu St-Vallier. Salle 2. Celle qu'entre toutes je préfère. Car c'est là que les vieux chirurgiens chicoutimimens m'ont laissé grimper sur leurs épaules; c'est là qu'ils m'ont légué tous leurs trucs. Le ventre de ma patiente est ouvert: j'ai complètement oublié l'objet de la chirurgie. Vous comprendrez sans doute pourquoi quand j'aurai terminé mon récit. Mon assistant chirurgical est un homme. Je n'en dirai pas plus, car je crois qu'il est encore vivant. Les assistants chirurgicaux ne sont pas légion en province, dans une ville comme Chicoutimi. Je dirais même plus: ce n'est pas un poste recherché. J'avais dû me contenter depuis plus d'un an de ce chirurgien "tabletté" qui devait s'adonner à l'assistance pour gagner sa vie. Ce n'était pas le Pérou, je vous le jure. Il était incapable de se concentrer, tenait mal les écarteurs, tremblait comme une feuille sous la brise, parlait haut et fort, de n'importe quoi et surtout de sexe, de manière indélicate, intempestive et inappropriée. Il devait penser que Viser bas, c'est viser juste! J'essayais tant bien que mal de tenir le gouvernail, d'aiguiller vers le haut-de-gamme ses sujets de conversation, avec peu de succès. Certes, j'aurais pu le congédier; plusieurs me l'avaient conseillé. Je m'étais dit que chacun doit porter une croix dans sa vie et qu'endurer cet assistant serait la mienne. Il pourrait ainsi finir sa vie honorablement et se payer quelques douceurs.

Ce matin-là, mon assistant était particulièrement volubile. Il opinait sur tout, enterrait toutes les conversations de sa voix d'outre-tombe. Moi, j'opérais tout doucement, lentement, comme je l'ai toujours fait, peu attentif aux élucubrations de mon hurluberlu. N'aperçoit-il pas, au-dessus du champ anesthésique une jeune étudiante d'à peine vingt ans, belle comme une déesse, des yeux qui vous font faire le tour du monde. Il se met aussitôt, sans pudeur aucune, à lui faire la cour, par champ opératoire interposé, d'une façon si inconsidérée, que tout le monde dans ma salle est mal à l'aise, en commençant par la jeune fille.

-Laisse-là donc tranquille! badiné-je en direction de mon Roméo. Comment peux-tu penser qu'elle puisse s'intéresser à un dinosaure comme toi?

Je badinais réellement, espérant par surcroît mettre un frein à ce spectacle peu relevé.

Roméo avait lâché ses écarteurs! Je ne pouvais plus opérer. Je lui demandai donc:
-Pourrais-tu, s'il te plaît, replacer tes écarteurs?

C'est à cet instant précis qu'il dégaina son crochet de gauche. Je ne le vis jamais venir. Par-dessus le ventre ouvert de la patiente. Il m'atteignit sur la joue droite, sans réellement me faire de mal.
-Ca fait un mois que tu m'écoeures, Delhorno, j'ai mon voyage!

Ce furent les seules paroles qu'il sut dire. Il se déganta et s'enfuit du bloc, de l'hôpital, de mon univers. Tous ceux qui orbitaient autour de la malade restèrent figés, moi le premier. Je me rappelle très bien avoir ainsi cogité:
-Faut-il que je pleure? Je n'ai pas de mal. Faut-il que j'arrête d'opérer? Non, je puis fermer cet abdomen sans problème. Faut-il que je cesse d'opérer pour la journée. Non, je me sens très bien.
Le personnel s'enquit de ma personne: je n'avais rien à dire. Je me souviens très bien avoir alors remercié le ciel de m'avoir débarassé de cette nuisance qu'avait été Roméo. Les dieux, sans nul doute, avait noté le calvaire que j'endurais et avaient réglé mon problème. La porte de la salle s'ouvrit alors:
-Claudio, les autorités du bloc m'ont demandé de venir t'aider!
-Ca me fait grand plaisir! Viens-t-en!
Elle était la meilleure assistante chirurgicale au nord du Rio Grande. Il y avait des années que je souhaitais sa venue dans ma vie de chirurgien. C'était toujours impossible.

Je portai plainte contre Roméo. A la police de Chicoutimi, au Collège des Médecins, au Conseil des Médecins et Dentistes. Les semaines passèrent... Quelques mois plus tard, je reçus un appel téléphonique inopiné d'une psychiâtre de l'autre côté de la rivière. Schizophrénie, depuis plus de trente années, ce qui expliquait bien des choses: l'arrêt de la chirurgie, les propos inappropriés, la vie en marge... Quelques semaines avant le mercredi du crochet de gauche, il avait abandonné sa médication. Je me souvins alors que mon personnel avait noté durant ces quelques semaines qu'il "empirait".

-Le matin du crochet de gauche, Claudio, il était en plein délire paranoïaque!

Le Procureur de la Couronne, le Président du Conseil des Médecins et Dentistes ainsi qu'un Apparatchik du Collège me contactèrent: il fallait que je mette fin aux plaintes pour cause de... Je m'inclinai.

Non, je ne souffre pas de séquelles d'importance. Je n'ai pas vécu le syndrome de stress post-traumatique. La seule anomalie que j'aie notée, elle survient le mercredi matin quand mon assistante se pointe dans ma salle. Derrière mon masque, béatement, je me mets à sourire et mon cerveau se dit à lui-même:
-ELLE VALAIT BIEN UN CROCHET DU GAUCHE.

Concluez donc, Gibus et McPherson!

DELHORNO

mercredi 19 décembre 2007

LE PIF

Certains appellent ça le SIXIEME SENS. Les mères disent que c'est un don attaché à la MATERNITE. D'autres parlent de PREMONITION... Quelques-uns voient du SURNATUREL dans l'affaire, vont jusqu'à parler d'ANGE GARDIEN...

Permets-moi, McPhee, de te raconter une histoire qui pourra te sembler banale. Pourtant, elle ne l'est point. Je l'avais oubliée: une conversation aujourd'hui me l'a remise en mémoire. Je me suis aussitôt dit qu'elle ferait le sujet de mon blogue.

Il y a de ça deux ou trois ans. Ses filles sont venues me voir. Il avait un cancer de l'estomac: elles me demandèrent de l'opérer. Je connaissais ces deux dames depuis plusieurs années, car elles travaillent dans mon hôpital. L'homme, maigre, était un sujet chirurgical idéal. La gastrectomie totale (ablation complète de l'estomac) fut faite à la perfection. Monsieur Tremblay retourna chez lui continuer à vivre...

Quelques mois plus tard, ses deux filles réapparurent à mon bureau: leur père venait de faire un accident vasculocérébral et, ne pouvant plus déglutir, avait besoin qu'on lui confectionnât une jéjunostomie (placer un tube dans une des premières anses du petit intestin) à des fins de nutrition, le temps que le cerveau récupérât. Evidemment, elles me demandèrent d'opérer leur père encore une fois. J'acquiesçai.

Nous étions deux pour faire l'intervetion. Tu dois savoir, McPh, que depuis cinq ou six ans, les dieux m'ont accordé la meilleure assistante chirurgicale qui se puisse trouver au nord du Rio Grande! Elle m'est comme tombée du ciel un certain matin, je te raconterai ça un de ces jours.
Nous réouvrîmes donc l'incision abdominale antécédente et la chirurgie fut faite dans les règles de l'art, pour employer un cliché suranné. J'en oubliai même le patient tout de suite après l'intervention. Le soir-même, je m'endormis du sommeil du...

A quatre heures et demie du matin, je m'éveillai en sursaut: un pensée claire, nette et unique occupait tout mon cerveau, envahissante, pressante, inébranlable:
-Claude, tu as oublié de refermer le petit trou jéjunal qui t'a servi à introduire le cathéter de jéjunostomie. Monsieur Tr. va mourir de péritonite si tu ne vas pas tout de suite le réopérer.

Je me levai en coup de fusil, m'habillai à la vitesse de l'éclair. Quelques minutes plus tard, j'étais sur l'étage des opérés.
-Docteur, je ne vous ai pas appelé, me dit l'infirmière de nuit
-Je ne suis pas sans l'ignorer, Madame. Cependant, il me faut réopérer monsieur Tremblay sur-le-champ, car quelque chose cloche.
-Pourtant, il a dormi toute la nuit, sans quelque anomalie que ce soit!

Je ne savais trop si je devais expliquer à cette infirmière la pensée claire et nette qui envahissait mon cerveau... Je signai la requête opératoire, j'appelai l'infirmière du bloc, l'anesthésiste arriva, endormit le patient et je réouvris l'incision. Effectivement, j'avais oublié de refermer la petite incision jéjunale... Je la cousus, donc, et replaçai les viscères en bonne position. Vingt minutes plus tard, monsieur Tremblay dormait en salle de réveil. J'avais avisé une des filles avant l'intervention:
-Je crois avoir oublié de refermer une petite incision intestinale; il faut la fermer tout de suite, car ça peut être léthal. Je dois donc réopérer votre père instamment.

La suite fut banale. Il guérit de tout ça sans séquelles, sans complications, et nous pûmes le nourrir à l'aide de sa jéjunostomie. J'en reparlai avec mon assistante la semaine d'après; elle m'aurait certainement averti sur-le-champ que le trou jéjunal n'avait pas été fermé! Elle n'avait aucun souvenir de tout ça, ne se rappelait pas même que nous avions fait ce petit trou!

Voilà! McPhee. Connais-tu le mécanisme qui m'a fait me réveiller en sursaut ce matin-là, alors que je m'étais couché la veille avec la certitude du devoir accompli, sans aucun doute sur la qualité de mon intervention chirurgicale. Intervention surnaturelle du bon Dieu des gars de la Baie? Bonne réflexion!

Delhorno

mardi 18 décembre 2007

SAYING GOODBYE...

...TO THE PAST IS ALWAYS A SIGN OF A NEW BEGINNING.

Lu chez Al's Pizzeria. Campbellton, dimanche soir le 7 juillet 2007. Sur une photo d'une vieille maison dont le toit est enfoncé sous le poids de la neige. J'ai recopié la citation machinalement dans mon Moleskine, en prévision d'un futur et hypothétique usage. C'est aujourd'hui le jour! J'ai vu mes derniers patients au bureau ce matin! Jocelyn Dubé, Hélène Laporte, Jocelyne Bergeron, Micheline Tremblay, Madeleine Tremblay. Le Frère Untel sera fier de moi... car je pense quitter avec désinvolture. Ce mot me plait. "Qui est dégagé, naturel, à l'aise." Il me reste deux opérations à faire mercredi: un collègue avec hernie inguinale, une infirmière retraitée, Colette, une hémicolectomie. Vendredi, dans trois jours, dernière garde. Je terminerai tout ça dans la province voisine, ce que je n'avais aucunement escompté, comme un vétéran hockeyeur de 37 ans qu'on échange en fin de carrière... Tout ça avait commencé en 1976, quelques jours avant Noël. Mes deux premiers cas comme patron? Une vieille madame de Bagotville: obstruction intestinale par bride. Quelques semaines plus tard, elle m'apportait une belle grosse truite. Une gastrectomie pour un gros ulcère. Elle mourut quelques mois plus tard d'un thyroïdopathie. Je me souviens avoir marché de la COOP jusqu'à l'hôpital en 1976. J'étais tellement fier de ce qui m'arrivait. Je ne serai pas moins fier de quitter... avec désinvolture.
Delhorno

lundi 17 décembre 2007

CONTE DE NOEL

23 décembre 2000. Roland Tremblay enleva ses gants de chirurgien ainsi que sa blouse. Il signa le relevé opératoire, le compte-rendu pathologique et, lourdement, alla quérir le dossier, qui dormait sur la table de l'anesthésiste... Il se sentait fatigué. Vingt-cinq ans plus tôt, il était arrivé jeune et fringant à l'Hôtel-Dieu St-Vallier.
-Le temps m'a rattrappé, pensait-il.
Il rédigea ses ordonnances et se dit qu'il irait trouver sa femme à la maison. Ils allumeraient un feu de foyer, mangeraient un peu et se prépareraient à accueillir les enfants, qui, à Québec, Montréal et Sherbrooke, s'essayaient à voler de leurs propres ailes. Comme il revêtait ses habits de rue, une voix qu'il détesta grésilla dans le système sonore du vestiaire:
-Le docteur Roland Tremblay est demandé urgemment dans la salle six!

Roland Tremblay était le chef du service de chirurgie digestive de l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier, depuis plus de cinq ans alors. La dernière année avait été pénible. La Régie Régionale avait imposé une fusion des services chirurgicaux des hôpitaux de Jonquière et de Chicoutimi. Il s'était opposé à ce mariage qui lui rappelait la fable du Pot de Terre et du Pot de Fer... Il n'avait jamais pu divulguer publiquement les véritables motifs qui lui faisaient rejeter une telle union... Il avait dû affronter l'opprobre de l'opinion publique, les vociférations des syndicats jonquiérois et le mépris non-déguisé des apparatchiks de l'Hôpital de Jonquière. Il se sentait si fatigué...

Il remit son habit vert, se rendit dans l'antichambre de la salle six, attacha son masque et se lava les mains, machinalement, consciencieusement, comme il l'avait fait les trente dernières années. La porte adjacente s'ouvrit tout doucement: Louise Brind'Amour, la responsable de la salle, vint lui susurrer:
-Docteur Tremblay, c'est docteur Savard qui vous a fait venir. Il terminait une cholécystectomie laparoscopique, il avait l'air au-dessus de ses affaires, blaguait avec le personnel et... tout à coup, il se rendit compte qu'il avait sectionné le cholédoque.
-Es-tu certaine de ça, Louise?
-C'est ce que l'anesthésiste a vu sur l'écran, en tout cas!

Roland Tremblay se mit à blasphémer intérieurement
-Encore un après-midi de congé de sauté, maudit cr.... de câ... de tabarn...

Ce Savard était l'un de ces chirurgiens jonquiérois que Tremblay avait dû accepter contre son gré. S'était entraîné dans un hôpital universitaire de Montréal, où il avait pratiqué quelques mois. S'était ensuite exilé dans un bleb du Témiscaminque, où son séjour n'avait pas duré, pour des raisons jamais divulguées. Avait ensuite travaillé en Gaspésie, puis sur la Côte Nord et , finalement, avait abouti à Jonquière, où on le présentait comme le sauveur du bloc opératoire. Tremblay l'avait vu opérer un soir de novembre, quelques semaines auparavant: Savard était un maladroit, un intempestif, qui opérait comme une charrue John Deere. Il arrachait tout! Tremblay l'avait vu déchirer un uretère ce soir-là et lui avait enlevé les ciseaux des mains. L'haleine de Savard, ce soir-là, sentait le Bordeaux.

La bourde n'était pas qu'une bourde: c'était une réelle catastrophe. Tremblay se dit qu'il était bien vrai que la réalité dépasse la fiction. Savard avait sectionné le cholédoque tout près du duodénum, pensant qu'il avait affaire à un canal cystique bas implanté; puis il avait sectionné le canal hépatique commun tout près du hile hépatique, pour une raison indéterminable. Finalement, il avait mépris l'artère hépatique droite pour l'artère cystique et l'avait donc ligaturée à la bifurcation. Le foie n'était donc plus irrigué que par l'artère hépatique gauche... Il fallait pratiquer une anastomose jéjunohépatique haut située dans le hile... Tremblay ne se sentait pas la force d'entamer une chirurgie de quelques heures, d'autant plus qu'il ne l'avait jamais faite auparavant. Comment s'en sortir? Il se déganta et invita Savard à le suivre au salon des chirurgiens. La conjoncture n'était point propice à l'engueulade, aussi se tut-il. La patiente n'avait pas quarante ans, mère de quatre enfants.

-C'est un tel accident chirurgical qui avait mis fin à la carrière politique du premier ministre britannique Anthony Eden, se rappela Tremblay.

-Ecoute, Maurice, je ne me sens pas la force d'entreprendre un tel chantier. D'autre part, mal faite, cette opération risque de briser la vie de cette madame et de cette famille. Deux options, à mon avis, se présentent: soit transférer la patiente à l'Hôpital St-Luc à Montréal, soit faire venir ici l'un des chirurgiens biliaires de cet hôpital. La deuxième option, Tremblay ne voulait pas y croire. Les chirurgiens des gros hôpitaux universitaires sont souvent des prima donna qui lèvent le nez sur les collègues de province. Quelques années auparavant, il avait avait invité un chirurgien de l'Hôtel-Dieu de Montréal à venir pratiquer une surrénalectomie laparoscopique à Chicoutimi: il avait été éconduit prestement et s'était juré qu'on ne l'y reprendrait plus.

Savard ne dit mot. Tremblay prit le téléphone, appela à St-Luc et demanda à parler à Antoine Guillemette, qu'il connaissait bien. Celui-ci répondit aussitôt. Tremblay lui expliqua. Guillemette avait tout compris:
-Je me rends à Dorval tout de suite. Réserve-moi un siège sur le vol Montréal-Bagotville qui part à 16 heures!

Tremblay savait ce qu'il lui fallait faire. Il appela aussitôt Phonsine Nadon de l'Agence de Voyages Tournesol, une "p'tite vite" qu'il connaissait bien. Aussitôt dit, aussitôt fait. Guillemette arriverait à Dorval, une place l'attendrait sur le vol 3268 d'Air Canada.

A 17hi5, Roland Tremblay vit sortir Antoine Guillemette de l'entrée principale de l'aéroport de Bagotville. Ironie du sort, Tremblay conduisait un minivan rouge, rouge comme Noël, pensait-il, et voilà mon père Noël! Il cueillit le chirurgien montréalais, le déposa devant l'Hôtel-Dieu St-Vallier, où Savard l'attendait.

Madame Gabrielle Morin fut opérée par un artiste de fort calibre. Savard tenait les écarteurs et Roland Tremblay observait, succionnant de temps en temps. L'artère hépatique ne put être réparée; ils savaient cependant qu'une ligature d'une des deux artères hépatiques n'est pas léthale et est bien tolérée, habituellement, par les patients. L'anastomose hépaticojéjunale fut confectionnée parfaitement.

Trois heures plus tard, dans la vieille salle du restaurant Chez Georges, rue Racine, à Chicoutimi, les fêtards de Noël pouvaient observer un trio disparate et inhabituel. Certes, Roland Tremblay n'était pas un inconnu en ce lieu.
-Qui sont ces deux étrangers qui mangent du filet mignon avec docteur Tremblay?

Gabrielle Morin, comme si rien n'était arrivé, se rétablit rapidement de son opération. On ne sut jamais si Maurice Savard lui avait expliqué ce qui s'était passé. Les infirmières chuchotaient dans le couloir que madame Morin demandait pourquoi son opération avait duré si longtemps, pourquoi ne l'avait-on pas retournée à la maison le même jour, pourquoi...

Le 24 décembre au matin, un minivan rouge, rouge comme l'habit du Père Noël, se gara devant l'Hôtel Montagnais, boulevard Talbot. Il était six heures moins quart. Un quidam s'engouffra dans le minivan rouge, qui repartit sur-le-champ vers l'aéroport de Bagotville. Le même quidam embarqua sur le vol 3269 d'Air Canada Bagotville-Montréal/Dorval.

Le conducteur du minivan rouge reprit le chemin de Chicoutimi.


Delhorno

dimanche 16 décembre 2007

SANTO DOMINGO III

Il y a de l'insolite dans l'air ce matin, jeudi... Nous ne retournerons pas à Sosua en autobus! Discussion avec Félix. Il nous propose un tour de la ville nouvelle avec arrêt au Musée de l'Homme Dominicain, puis un autre petit tour de ville qui se terminera à l'Aeropuerto Isabela...

La minivan embarque donc sur le Malecon, grand boulevard qui serpente le long de la mer des Caraïbes en direction de l'ouest, vers Haiti. Fort pittoresque, le Malecon. Félix me signale que "Malecon" veut aussi dire "gai" en espagnol. Il nous amène à l'endroit où le dictateur Trujillo fut assassiné: un monument d'aspect sinistre y a été érigé. Heureusement, le soleil et la mer nous font oublier la morbidité du lieu.

MUSEE DE L'HOMME. Selon le Routard, c'est "le" musée à visiter à Santo Domingo. Nous y voici donc. Le premier étage est en réparation. Le deuxième sert à l'administration. Ce sont les troisième et quatrième étages qui importent. Les Indiens Taina occupaient l'île à l'arrivée des Conquistadores. Ils se trouvaient aussi à Cuba et à Porto Rico. Ils étaient plus de 60,000. Les Espagnols voulurent les "domestiquer" et les employer à rechercher de l'or. Les indiens étaient rébarbatifs; plusieurs s'enfuirent, plusieurs furent tués, plusieurs succombèrent aux maladies apportées par les Conquistadores. Au bout du compte, vingt-cinq ans après la conquête, les Taina étaient disparus! Leur langage aussi! Plusieurs vocables Taina sont encore utilisés aujourd'hui: MAÏS, TIBURON, TABACO. C'est, en gros, ce que j'ai retenu de ma visite au Musée de l'Homme. Il y a, devant le musée, une statue représentant le moine De Las Callas, qui, apparemment, aurait été un grand défenseur des Indiens Taina. Suis ressorti triste de ce musée. Car il y a eu à proprement parler un GENOCIDE en Hispanola. J'y ai lu que Christophe Colomb était obnubilé par la recherche de l'ELDORADO et fort peu concerné par le sort des Indiens. On rapporte que ceux-ci étaient pacifiques, peu agressifs, et que c'est ce qui a entraîné leur diaparition.

PALAIS PRESIDENTIEL. De toute beauté. Très bien entretenu. La plus belle architecture de toute la République Dominicaine, selon Félix, qui nous montre en outre le quartier des ambassades et des immeubles ministériels. On s'y crorait en Floride ou en Espagne, si nous n'avions pas noté les bidonvilles qui ceinturent le coeur de Santo Domingo.

AEROPUERTO LA ISABELA. B., dès le premier jour, soulignant la longueur du trajet en autobus, avait émis l'hypothèse d'un retour de type "aérien". "IL NE FAUT PAS REFUSER L'INSOLITE QUAND IL SE PRESENTE", c'est d'Agatha Christie. Nous voilà donc, dès mardi après-midi, en train de négocier un retour en avion! La compagnie intérieure dominicaine se nomme CARIBAIR. Elle vole à partir d'un petit aéroport privé au nord-est de SD. C'est donc là que Félix nous dépose. On nous traite en jet-setters dès notre arrivée. Un miniautobus nous amène à l'appareil, un Cessna à deux moteurs, 6 ou 7 places. Décollage aussitôt. Vol sans histoire, par un beau soleil. Atterrissage à Puerto Plata et sortie "incognito" sur le stationnement où nous attend Olivier. A 15 heures nous débarquons à Marysol, ultrafiers de notre décision.

POSTMORTEM:
1. L'Hôtel Frances est magnifiquement et stratégiquement situé. C'est là qu'il faut aller. Style colonial, petit, peu dispendieux. L'accueil est impeccable.
2. Il faut visiter l'Alcazar.
3. Vous serez déçu par le Faro de Colon, mais il est quasiment incontournable. Surtout, il ne faut pas comparer avec d'autres pays.
4. Le Routard a raison quand il écrit que le Musée de l'Homme Dominicain est le meilleur musée de SD.
5. Il faut marcher l'avenue Conde: elle est la Rambla de SD.
6. Los Tres Ojos ne peut être comparé au cap Trinité, c'est vrai. Mais je ne regrette pas d'y être allé. Conseillé par le Routard, en passant.
7. Il y eut un génocide à Hispanola. Sous l'égide de Colomb et des Conquistadores. Je me suis demandé, voyant les richesses du vieux Madrid, comment les Espagnols avaient pu amasser tout ça. Je le sais maintenant: ils ont vidé les Caraïbes, le Mexique, l'Amérique Centrale et l'Amérique du Sud. Sans oublier le rôle de l'Eglise...
8. "Christophe Colomb fut le premier socialiste: il ne savait pas où il allait, il ignorait où il se trouvait et il faisait tout ça aux frais du contribuable." Winston Churchill
9. Le Routard, dérisoirement, de Christophe Colomb: "Totophe l'Ubiquiste" -allusion au fait qu'il semble enterré dans 5 ou 6 villes d'Europe et du Nouveau-Monde.
10. Le trajet Sosua-Santo Domingo, en autobus, est vraiment long. Peu pittoresque, par surcroît.
11. Visiter Santo Domingo avec un Taxista Turistico: peu dispendieux, ils ont suivi des cours et nous montrent une "tarjeta" le confirmant.

HASTA LA PROXIMA! DELHORNO

SANTO DOMINGO (SUITE)

Mercredi matin. Lever et déjeuner "regular", comme dirait notre voisin Buruka. Jasette avec le commis de faction... Ils ont à leur service un "Taxista turistico", Félix. Nous convenons avec lui d'aller visiter le "Faro" et "Los Tres Ojos". Départ vers 9h. dans un minivan un peu défraîchi, mais tout à fait confortable, ma foi. Nous traversons la fameuse rivière vers l'est.

Le FARO est sis sur une esplanade, de laquelle nous avons vue sur la mer des Caraïbes, direction sud. On l'a érigé en hommage à Christophe Colomb, pour avoir découvert l'Amérique. L'ensemble architectural n'est pas très spectaculaire ni très beau, à vrai dire. Surtout si l'on compare... Cependant, pour la République Dominicaine, ça me semble un bel effort. Un vingtaine de pays ont participé. Rappel historique. Le Pape, à cette époque, autorisait les expéditions de découverte! Presque tous les documents exposés sont des photocopies d'originaux à qui on n'a pas permis la traversée de l'Atlantique... La prestation canadienne est fort humble. Au point que nous en avons un peu honte. Le plus bel effort? Cuba. Ils exposent une longue pirogue Taina -près de trente pieds- obtenue d'un tronc d'arbre. Semble d'époque. Visite faite "à la sombrette", car il n'y a pas d'électricité ce matin.

Félix nous amène ensuite voir LOS TRES OJOS (les Trois Yeux). Il s'agit de trois lacs souterrains. L'un d'entre eux communique avec la mer. L'autre est teinté en vert. J'en ressors avec des appui-livre! Fr. aussi!

L'avenue Conde est l'artère commerciale de la vieille ville. Piétonnière. C'est là que nous dinons. Nous la parcourons ensuite, histoire de prendre le pouls des lieux. Ce n'est pas la Rambla de Barcelone! Pas très loin, sur une avenue parallèle, découverte d'un petit atelier de figurines en porcelaine. Se nomme ELISA. Fr. tombe en amour avec une figurine représentant une femme allaitant un bébé. Déjà vendue... Ils en ont fabriqué 125 et les ont tout vendues. Les artistes sont à l'oeuvre, fort sympathiques, fort habiles. Ca me rappelle une visite faite chez Lladro, à Valence.

Fatigue, fatigue. Sieste au FRANCES. Nous souperons ce soir au Hard Rock Cafe, tout juste en face du Parque Colon.

Je te reviens demain, Gibus.
Delhorno

samedi 15 décembre 2007

SANTO DOMINGO

Nous y serons allés... Première ville des Amériques, selon les standards des colonisateurs, évidemment. Car, ne pas l'oublier, on y vivait déjà, avant l'arrivée des Conquistadores. Les Indiens Taina.
Départ, donc, à 6h30 du matin, de Sosua, plus précisément de Los Charamicos. Autobus ultramoderne de Caribe Tours. L'air est "maximalement" conditionné! On y gèle! Arrêt à Santiago. Entrée à SD vers 11h30. Taxi jusqu'à l'Hôtel Frances, stratégiquement situé, en plein coeur de la vieille ville. Nous entamons aussitôt une visite pédestre des alentours, car nos chambres ne sont pas encore prêtes.
1. Alcazar. Tout y est d'époque. Ce dont je me souviendrai? L'emplacement stratégique dans l'estuaire de cette rivière dont j'oublie le nom. Encore? Les bancs aux fenêtres, qui permettent de se rafraîchir!
2. Musée maritime. Fermé en raison de travaux. Classé dans le chapitre des occasions ratées.
3. Ruines de San Francisco. Premier monastère d'Amérique. Ruines semblables à celles que j'ai visitées à Antigua de Guatémala.
4. Vieil Hôtel de Ville. Tout blanc. Près du Parque Colon, sur Conde.
5. Cathédrale Santa Maria de l'Incarnation. Jouxte le Parque Colon. Y sommes entrés. Nous avons tellement visité de vieilles cathédrales ces dernières années, que j'en ressors un peut désabusé. En reparlerons un peu plus loin.
6. Parque Colon. Coeur de la vieille ville. Aussi vieux qu'icelle. Dieu que je m'y sens bien
7. Zumo de naranja. Sous un arbre centenaire qui borde le Parque. Je demande au serveur le nom de cet arbre: "Alamo africano", me répond-il, "vieux de plus de cent ans". J'ouvre mon dictionnaire... Alamo, c'est un peuplier! Ses feuilles sont bien celles des peupliers de chez nous!

Nous irons souper ce soir-là au restaurant La Briciola, sur Arzobispo Merino. Restaurant italien recommandé par Le Routard et Annie. C'est un enchantement. "Comida" haut-de-gamme. Les tables sont éparpillées dans un préau orné de fleurs et de lumières. Il ne pleuvra pas de tout le souper. Fr. n'oubliera jamais sa salade César et Bé. son pianiste... Moi, c'est le dessert qui me restera! Fraises et crème glacée. Ça semble banal, je le sais, mais je n'en ai jamais mangé de meilleur!

Retour à pied à l'hôtel. Nous sommes vannés. Nuit sans histoire.

Je vous reviens demain pour la suite! Delhorno